VERBE - suite
Il y aussi pour le verbe avoir les formes suivantes avec la syllabe de :
- en devoue, il avait ; ... devoue,...avait
- en devou keit, il n'aura pas.
- deveet (il) aurait
- pe ma deveet ariveit , ce qui serait arrivé.
Ces formes en b, v et f, dérivent évidemment de la même racine. Mais le présent est tout différent. En voici le paradigme complet :
- me ez, me ëz, me'z
- hi ez , hi'z
- han ez
- en deëz ; dez ; quelquefois de
- n'ez, il n'a (pas)
- hia ez, hia'z ; ra ez, ra'z
- non ez, non ëz, non’z ; non'cheit, nous n'avons pas
- Hui ez , hou ez, hou ëz ; hou'z
- dan ëz ; ne ez , ne'z, quelquefois ne ; deez avec un sujet qui précède .
Ces formes correspondent au présent du verbe avoir dans les autres dialectes et n'ont rien à faire avec le léonard beza, être. Ce rapprochement, tenté par M. Loth se heurte à des impossibilités phonétiques .
En effet, le z de beza ne peut être représenté en Vannetais par un s, ni son e en léonard par un eû .
Le véritable représentant de beza au présent du verbe avoir est en léonard am bez, en trégorrois am e, qui s'emploie pour exprimer l'habitude :
- naoun am euz, j'ai faim (actuellement)
- p'am bez naoun e tebrann, Trégorrois p'am e fôt e teban, quand j'ai faim je mange.
C'est exactement l'équivalent de pa vez naoun d'in , pa ve fôt d'eign, littéralement "quand il est faim à moi" .
La 3e personne du singulier de ce temps a été employée par M. Loth dans son dialecte bas-vannetais. 'nè, en petit Tréguier idem, est pour le léonard , en devez : moyen breton em bez, en deuez, et la 2eme personne du pluriel ho bez.
La même nuance se trouve dans l'emploi de bezann , bezez, etc., à côté de oun, oud, etc., et de bezer à côté de oar, "on est".
L'impersonnel léonard euz, il y a, d -euz, z -euz, id. , vannetais es, d -es, à Batz dez, en deez (avec négation ne ges, ne ge chet, 'gechet, pour nen deuz ket), ne peut aucunement être identifié à bez, vez, pas plus qu'en gallois oes ne peut l'être à bydd, ni en cornique us à byth.
Quel inconvénient y a - t- il à admettre qu'une racine s'est conservée seulement dans ce sens « il est, il y a », quand nous voyons le verbe étre en breton changer de racine, non-seulement en changeant de temps ( klanv on, je suis malade, klan 'vin, je serai ), mais même en changeant de forme de conjugaison : Klanv on, me zo klan ?
Entre am bez, am bezo, etc. , et am eus, radicalement différents à l'origine, il y a eu des compromis ; de là les formes båtardes telles que :
- le léonard am beuz, hor beuz,
- cornique am bus, om bus
- trégorrois ho peuz, vous avez
- vannetais , ho pes ( 1) ;
rien de plus naturel. Ce verbe a subi bien d'autres tiraillements moins justifiables à priori, comme nous le verrons tout à l'heure.
Quant à la syllabe de aux troisièmes personnes en devoue, etc. , je doute fort qu'il faille y voir la préposition da, à : car soit qu'on la rattache au pronom précédent sous forme de postposition, soit qu'on la joigne au verbe suivant pour en faire un verbe composé, on arrive à un fait qui serait unique, et qu'aucune analogie ne justifie.
Je soupçonne que cette syllabe est simplement formée du d, g, qui se trouve en breton moyen dans nen deux ,
- cornique nynges
- à Batz ne ges il n'y a pas
- et aussi dans nendouf, je ne suis pas
- nendeu, il n'est pas
- nendoan , je n'étais pas, etc.
- en cornique nyngof, nansyw , nyngyw, etc.
Pour maintenir ce d, g, devant les formes du verbe beza, on bien été obligé de lui ajouter une voyelle ; celle-ci, à son tour, s'est incorporé la consonne v initiale de la racine : de là les formes bâtardes comme en deveus, il a, cornique an gefes.
Cette addition inorganique aura passé naturellement de la 3e personne du singulier à la 3e du pluriel; la 1re du pluriel l'admet quelquefois en breton ; la 1re du singulier ne l'a jamais, non plus que la 2e du singulier, ni la 2e du pluriel ; et ces deux dernières au moins auraient certainement gardé des traces de cette syllabe, si elle avait été originairement commune à toutes les personnes.
Mais elle est, au contraire, bien propre à la 3ème : les formes telles que le cornique me an gevyth , j'aurai , ny an gevyth, nous aurons en petit Tréguier et surtout en Goêlo te 'n ou, c'houi 'n ou, etc. sont des exceptions apparentes qui confirment la règle, car elles signifient proprement « moi il aura » , « toi il aura », etc.
L'analogie de la conjugaison ordinaire impersonnelle a entraîné ici un verbe qui n'est que relativement impersonnel , puisque ses pronoms préfixes lui rendent le même service qu'aux autres les terminaisons personnelles (de là l'usage, si fréquent en Vannetais, de mettre en dès, etc. , pour le féminin hi dès ou pour le pluriel ou dès, quand le sujet vient avant).
Les formes de Batz a bou, a boue, etc. , sont des exemples remarquables de ces individualisations : on peut comparer le Vannetais e hoès, vous avez, trégorrois a peuz, qui prennent irrégulièrement la particule verbale avant le pronom encore existant dans hoès, et représenté dans a peuz par le durcissement de b en p.
L'infinitif du verbe avoir, à Batz, est kaoueit, qui, pas plus que kaout, kaouet, dans les autres dialectes, ne s'emploie jamais
comme auxiliaire. On a donc perdu dans ce dialecte l'infinitif en devout, qui se conjugue ainsi en Vanretais :
- em bout
- ha pout
- en dout (masculin) hi dout
- en devout (féminin) hi devout
- hun bout, hur bout
- bou pout
- ou dout, ou devout.
Ex. : Me garehe em bout, te garehé ha pout, je voudrais, tu voudrais avoir, etc.
Cette construction curieuse, qu'il serait aisé de justifier par maint exemple, si c'était utile, donne seulement en devout et em bout, qu'il semble identifier complètement.
La force de l'analogie va jusqu'à faire prendre au verbe avoir en breton des formes absolument personnelles.
On ne s'attendrait guère à en trouver dans le dialecte de Batz, qui a presque entièrement perdu cette conjugaison dans les verbes ordinaires; et pourtant il en existe deux :
- Ne ben keit, je n'aurai pas (ordinairement me bou keit) cornique am been
- Et pi -re boc'h hui? lesquels aurez - vous ? (ordinairement pi-re hou bou), cf. cornique asbetheugh why
Cf. en Trégorrois :
- a meump, nous avons
- 'moum , nous aurons
- em ijemp, nous aurions eu
- cornouaillais n’eusomp, nous avons
- en cornique nam beyn
On dit même ni meum, ni a meump (Trégorrois) nous avons
On trouve à la 2e personne du pluriel des formes comme :
- ho poac'h-hu, aviez-vous
- ho pijet ( ?) vous auriez
- à la 3e pluriel euz int, ils ont,
- n'eusont, a n'euzont, ils ont
- defant, ils avaient
- n'izent, ils auraient
- et même ma faotred defint, mes fils auront(Cornouailles )
La conjugaison de l'impératif, que nous avons vue en dialecte de Batz garder plus longtemps que les autres temps sa conjugaison personnelle, a perdu en partie son caractère impersonnel dans le verbe avoir, avant les autres temps : car la Grammaire celtique cite déjà en moyen breton un exemple de hazuez, aie à côté de haz vezet
- Cf. da uez, (Middle Breton Hours)
- da pe, Père Maunoir
- da pez, Père Grégoire
- az pez, ez péz, Legonidec
- vannetais ha peès
etc. (avec cette terminaison ès de beès, sois, fréquente en trégorrois sous la forme ez , et empruntée au conditionnel présent,
comme la 3e personne du pluriel ent.
En trégorrois on supprime ici ordinairement le pronom, un peu à la façon du dialecte de Batz, et l'on dit : Bez (et bè,
- Pluriel, 1re pers vannetais . hun béemb hur bemb
- trégorrois. bezomp,beomp
- 2e personne trégorrois bezet ( bezit, beid ,bed, selon Hingant)
- 3e personn vannetais ou déent
- Léonard hô défent; y ho deuezent Cf. An peo ryen bezent, que les pauvres soient, Ste Nonne, p. 68 , pour ra vezent.
Y a -t -il en breton, en dehors de l'impératif, une seconde personne du singulier de ce verbe avec désinence personnelle, comme en cornique a fus ; ny fyes, non haberes ?
Je l'ai cru ; et j'ai admis avec M. de la Villemarqué que dans le texte breton de Maistre Pathelin, e pysy pouvait signifier « tu auras » , pour e pezo , par l'influence de bizi, tu seras.
M. Loth avait adopté la variante ho pysy et traduit « vous aurez » , ou ' « puissiez-vous avoir », au pluriel ; il maintient cette lecture et cette traduction , qui lui semblent « ne pas trop violenter le texte . » Elles violentent, du moins, singulièrement la langue.
Ho pysy pour ho pezo me semble une hypothèse tout à fait injustifiable .