Culture bretonne de Saint-Nazaire (Brière/Presqu'île Guérandaise/Pays de Retz)
Cette publication 3 est une présentation du parcours de Thierry Magot lors de sa vie d'adulte , parcours au niveau des langues , partie 1/2 de ce parcours adulte
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Avant propos de Karrikell
J'ai l'immense plaisir et honneur d'accueillir sur mon blog Thierry Magot, que je considère comme un véritable érudit des langues, et en ce qui nous concerne du gallo.
La teneur de son exposé qui sera publié ici en plusieurs publications, véritable série ou feuilleton, démonte les affirmations lapidaires de personnes n'y connaissant rien , comme classant le parler de Retz comme un parler Poitevin .
Il est vraiment dommage que le mouvement breton répète à l'envie cette affirmation erronée !
Le mouvement culturel breton se tire une balle dans le pied en faisant le jeu des partisans de la division .
Entre les tenants du "Grand Poitou" (il y en a et certains sont présents en Pays de Retz (historiens du Pays de Retz par exemple, association qui classe ce terroir "entre Bretagne et Poitou",les autres étant les militants culturels poitevins) et les partisans des Pays de la Loire, la Bretagne n'a pas besoin de chiens de Pavlov bretons répétant les choses sans rien y connaître .
Lisez Thierry Magot !
Son exposé est salvateur et va dans le sens de la réunification non seulement politique mais culturelle .
Je publierai peu à peu , publication par publication , l'exposé de Thierry Magot.
Hervé Brétuny, Blog Karrikell
-----------------------------------------------
Activités militantes sur le Breton, sur le Gallo, dont le parler du Pays de Retz, et connaissance sur le Haut- et le Bas-Mainiot, ainsi que sur d’autres langues minorisées
Activités sur le Breton
Dans la Faculté des Sciences de la Région parisienne où j’ai fait mes études à la fin des années 60, j’ai pu profiter de l’arrivée de nombreux étudiants de Basse-Bretagne pour participer à l’organisation de cours de Breton. Je me suis tout de suite heurté à l’obscurantisme de la plupart des enseignants locaux : ayant mis sur des affiches à la cantine, pour les contacts sur les cours, mes références de laboratoire (où je faisais un stage pour ce qui serait maintenant un M2), j’ai vu faire irruption dans mon bureau le patron du labo, d’ordinaire très courtois, criant sur un ton qui, 50 ans plus tard, résonne encore dans ma tête : « On va avoir l’air de quoi maintenant dans la fac ? Faire de la publicité pour une langue d’arriéré ! ». Effectivement, le Breton « langue d’arriérés » n’avait pas sa place dans une Université, Temple de la Culture française. Mais nos cours de Breton ont néanmoins été créés…
En 1971 un évènement a été décisif dans ma conscience Bretonne : dans une MJC de la région parisienne près de chez moi a été proposé un « festival » d’un après-midi sur un thème totalement innovant à cette époque (mais c’était déjà un des « effets 1968 ») « Des minorités nationales en France » avec la participation de 3 militants chanteurs de ces minorités que j’ai rencontrés pour la première fois, dont j’ignorais jusqu’au nom (c’était avant l’ « effet Alan Stivell ») et avec lesquels j’ai même pu discuter (il y avait si peu de participants …) :
Gilles Servat pour la Bretagne (avec la « Blanche Hermine ») https://www.dailymotion.com/video/x8bi5i),
Claude Marti pour l’Occitanie (avec « Mas perqué m’an pas dit à l’escola la lenga de mon païs » https://www.youtube.com/watch?v=o_g6s0pH0Lo)
Lluis Llach pour la Catalogne, en exil en France ayant fui devant la dictature franquiste sa Catalogne « espagnole » (avec « L’Estaca » https://www.youtube.com/watch?v=aX4eZ1fpYwA).
Trois personnalités splendides. Une journée inoubliable formatrice pour toujours sur l’engagement pour la défense des langues minorisées.
J’ai pu ensuite, grâce à nos cours de Breton, effectuer en 1972 un stage « sauvage » de travail à la ferme d’un mois à Dinéault, à côté de Châteaulin en compagnie d’un ami-étudiant de ma faculté, originaire de cette région. Ce stage m’a fortement secoué par ses aspects sociologiques (que ma connaissance seulement familiale dans l’émigration de la situation du Gallo ne me permettait pas d’atteindre) : dans les fermes, la transmission familiale du Breton avait été brutalement interrompue et toute communication s’était totalement arrêtée entre les générations. Plus de relation entre grands-parents monolingues du Breton et petits-enfants monolingues du Français (qui ne savaient plus compter que péniblement jusqu’à 5 en Breton), vivant pourtant encore sous le même toit.
C’est à partir de cette période que j’ai pu structurer un peu mes activités militantes autour de la défense du Peuple Breton et de l’oppression culturelle et linguistique qu’il subissait. J’ai en particulier dès 1974 milité dans la Région parisienne à l’Union Démocratique Bretonne. J’ai de façon continue depuis 50 ans cherché à approfondir ma connaissance du Breton par un bon nombre de stages en immersion, tout particulièrement les stages KEAV (Kamp Etrekeltiek Ar Vrezhonegerion) orientés vers la communication orale dans la diversité des dialectes du Breton (j’ai ainsi participé à une dizaine de stages d’été et l’ALBB, Atlas Linguistique de Basse Bretagne, est ainsi devenu mon livre, puis mon site, de « chevet »). Cette prise en compte de la diversité des dialectes est mise en pratique par l’utilisation de la graphie « Peurunvan » (« totalement unifiée », créée dans les années 1940). A cette graphie, s’est opposée longtemps la graphie dite « Skolveureg » (« universitaire »), incapable de s’adapter à la spécificité des parlers Bretons du Vannetais ou du Goëlo. La graphie Peurunvan a finalement supplanté la graphie Skolveureg par son utilisation retenue dans les écoles Diwan puis les filières Divyezh de l’enseignement public et Divaskell de l’enseignement privé (voir Partie VI). Depuis ma retraite dans les 10 dernières années, j’ai produit un certain nombre d’articles, interviews en Breton dans les médias bretonnants de la presse écrite (« Ya ! », « #brezhoneg » « Bremañ »), télévisuelle (web-chaine « Brezhoweb », émission « Bec’h De’i ») ou radiophonique (France Bleu Breizh Izel, France Bleu Loire Océan). J’ai aussi, animé par l’idée de montrer qu’il est désormais possible d’aborder en Breton les thèmes les plus divers (ce qui n’est malheureusement pas le cas en Gallo), publié en 2018 un livre, à la demande des éditions Mouladurioù Hor Yezh, sur les spiritualités islamiques et soufies « War-zu un islam adsperedelaet. Etre poell ha naderezh ». J’ai signé ce livre, rédigé en collaboration avec Ingrid Audoire, sous le pseudonyme de mon arrière-grand-père Jean-Marie, si important pour moi dans la formation de ma conscience bretonne. Notre livre a reçu une critique des plus élogieuses de la part de Malo Bouëssel du Bourg (une grande fierté pour moi) dans le numéro de Al Liamm (n°434, mai-juin 2019) la plus prestigieuse revue littéraire en Breton publiant sans interruption depuis 1946.
J’ai enfin organisé en 2019 en collaboration avec Ingrid Audoire une petite exposition itinérante bilingue (Breton/ Français) sur les Oiseaux du Marais Breton en association avec « Nature à tire d’aile », Groupe Ornithologique du Pays de Retz. Exposition présentée en mai lors de la Fête du Groupe à La Bernerie en Retz, en Juin lors de la Fête de la Bretagne au Clion et lors de la Fête de la Saint Gilles de Pornic en Septembre. La très grande faiblesse des connaissances actuelles du vocabulaire ornithologique Gallo nous a empêché d’y apporter une dimension Gallo, mais la tenue de l’exposition a rendu possible un fructueux contact avec de nombreux bretonnants du Pays de Retz.
Cette approche à long terme de la langue bretonne m’a enfin permis de voir comment avait été organisée la lutte pour la défense et la promotion d’une langue minorisée comme le Breton tout au long de ce dernier siècle, passant par l’élaboration d’un Breton standard et d’une graphie unifiée inter-dialectale, pour permettre son enseignement, voire sa co-officialité, tout en préservant la diversité de ses dialectes. Cette graphie est toujours évolutive et fait encore actuellement l’objet d’une amélioration très positive (voir la Partie VI).
Activités sur le Gallo
En région parisienne (1975-1990)
En 1978, j’ai commencé à prendre part à l’émergence du premier renouveau Gallo dans le cadre des « Amis du Parler Gallo », devenu par la suite « Bretagne Gallèse ». Dès mon arrivée nous nous sommes confrontés aux partisans du « Gallo sympathique patois » (avec la publication d’un recueil de textes glanés dans la presse locale « Parlons Gallo, patois de Haute-Bretagne » (Les Amis du Parler Gallo, 1978), mais avec appel, dès le n°1 de notre revue « Le Lian », à un débat sur l’écriture paru par la suite dans le n°2. Nous avons vu émerger un débat qui a bien mis en valeur les idées d’un statut de langue pour le Gallo, venant de mes premières réflexions (voir ci-dessous) et de plusieurs autres militants avec j’allais travailler dans les années qui suivront (Laurent Motrot, Alan Raude et d’autres).
Figure 2 Ma première participation au débat sur la graphie du Gallo dans le courrier des lecteurs du n°2 du magazine Le Lian (1979)
Dans la foulée de ce débat interne, nous avons créé avec 2 autres jeunes militants Jean-Yves Bauge et Laurent Motrot la commission linguistique « Aneit » pour travailler directement sur la langue. A ce titre j’ai été rédacteur d’un certain nombre d’articles sur le Gallo et sur d’autres langues d’Oïl (en particulier, bien sûr, mon cher parler Mainiot, voir ci-dessous) dans « Le Lian », la revue trimestrielle de Bretagne Gallèse. Dans cette association nous avons lancé des enquêtes de grande envergure (plusieurs centaines de réponses) diffusées par voie de presse sur les prononciations locales du Gallo, dans le but de repérer les différents dialectes/parlers constitutifs du Gallo sur la totalité des 4 départements Gallo (22, 35, 44, 56). Le but à long terme était de tirer des
enquêtes de prononciation des informations permettant de développer une graphie unifiée (voir la Partie VI).
L’étape suivante a été de sélectionner les correspondants les plus fiables représentatifs d’un parler particulier pour des recherches lexicales. Nous avons ainsi pu bénéficier dès le début des années 80 de la participation active et particulièrement riche de : Cécile Le Jean de Vieux-Bourg-Quintin (Haut-Goëlo, 22), de Pierre Hervo de La Gacilly (Vannetais Gallo 56), Patrik Deriano de Crédin (Vannetais Gallo, 56) et de 3 correspondants de Loire Atlantique : Serge Jouin d’Abbaretz (Nord Pays Nantais), Léon Brétéché de Prinquiau (Pays de Coislin, Sillon de Bretagne) et Sylvaine Billot, écrivaine-paysanne de Chauvé sous le pseudonyme de « Mémé » (Pays de Retz). Ce travail essentiellement épistolaire à l’époque m’a permis d’entretenir des relations très fructueuses avec certains de ces correspondants. Ainsi Patrik Deriano s’est vite incorporé de façon informelle à notre commission linguistique Aneit et s’est montré d’une créativité sans égale par la suite (voir en particulier la Partie VI). Serge Jouin, qui a produit en 1983 une très intéressante thèse sur son parler avait accumulé une très importante documentation sur la diversité des parlers Gallo dont il m’a fait profiter. Quant à Sylvaine Billot, grande connaisseuse de son parler du Pays de Retz, elle m’a, avec sa soif de transmettre, abreuvé d’informations lexicales, grammaticales et phonétiques sur son parler de Chauvé avec toutes les nuances locales autour de sa commune (voir Partie II-B). C’est en pensant à elle que, une dizaine d’années plus tard ayant obtenu un poste à l’université de Nantes, je me suis installé dans le Pays de Retz et ai pu enfin la rencontrer. L’ensemble de ce travail a été publié tout au long de la décennie des années 80. La démarche de Graphie unifiée avait été initialement lancée en 1981 dans un article militant que j’avais rédigé sous le pseudonyme de mon arrière-grand-père Jean Marie (voir plus haut) dans un numéro spécial « Le renouveau Gallo » du Peuple Breton (mensuel de l’Union Démocratique Bretonne).
Figure 3 Article « L’écriture du Gallo ? un problème politique » dans le supplément « Renouveau du Gallo » du Peuple Breton (1981)
L’état de notre recherche a été décrit dans la revue trimestrielle « Le Lian » (de l’association des Amis du Parler Gallo) : rubrique Recherches linguistiques « Chomei Aneit » 1981-1983. Notre approche a abouti à la constitution de l’Association Aneit qui a publié des numéros d’une petite revue militante sur le Gallo « Aneit, nostre lenghe » de 1984 à 1988. Cette revue a consacré ses numéros à la création et l’application d’une graphie unifiée inter-dialectale représentant la diversité des parlers Gallo (y compris les parlers Nantais) à partir des analyses des données issues de nos enquêtes et de celles issues de l’ALBRAM par J.P. Chauveau. Invité par MR Simoni-Aurembou, la spécialiste des dialectes d’Oïl centraux (dont le Percheron, voir plus bas), j’ai représenté notre association Aneit et les principes de sa graphie à un Colloque du CNRS de dialectologie sur l’évolution de la langue en France du XVI au XIXème siècle organisé en 1988 par N. Catach, linguiste spécialiste reconnue de l’écriture du Français. L’article issu de cette communication « L’écriture d’une langue d’Oïl : l’expérience du Gallo, langue bretonne romane » a été publié dans les Actes du Colloque par les éditions du CNRS (1989).
C’est pendant cette époque de grande activité autour de notre graphie unifiée Aneit que j’ai choisi de mettre en en-tête de ma Thèse d’Etat de l’université de Paris-Sud (« Contribution à la modélisation du système cholestérol du rat », soutenue le 8 février 1985) ma traduction (acte un peu provocateur) en Gallo, graphie Aneit, du poème en Breton de Youenn Gwernig (An toull en nor), « Le pertus den l’us ».
Youenn Gwernig « Le pertus den l’us » Traduction personnelle en Gallo (Aneit) de « An toull en nor »
On ne peut que regretter qu’un procès intenté en 1985 par Gilles Morin, président de l’association Bretagne Gallèse, suite à d’évidents problèmes d’ego très liés à l’émergence de notre graphie unifiée Aneit (publiée en 1983 dans le n°1 de la revue « Aneit nostre lenghe », voir couverture dans la Partie III), ait fortement ralenti à partir de cette date les travaux de l’association Aneit, notamment la rédaction de la première méthode de Gallo en graphie unifiée Aneit, finalement publiée dans des conditions discrètes en 1988 (« Le Gallo d’amen por tretots », voir la couverture en Partie III). Cette attaque, non compensée par un quelconque travail, pourtant indispensable autour du problème de l’écriture d’une langue minorisée de la part de Bretagne Gallèse, a sonné le glas dès 1985 de l’effort d’unification sans uniformisation (voir Partie VI) de notre langue pour une trentaine d’années, une génération, d’ailleurs à mon avis la dernière des véritables locuteurs d’un Gallo intégral. Le fait qu’aujourd’hui des problèmes procéduriers resurgissent entre associations rappelle tristement ces année 80 et assombrit fortement les chances de survie de notre pauvre Gallo.
Nous avions été alertés récemment de ces problèmes (qui me semblent récurrents dans l’histoire récente du mouvement Gallo) par 2 articles en Gallo dans l’hebdomadaire « Ya ! » (n°873 et 876 de mars 2022) sous la plume de Patrik Deriano « Lez doqhuments perdus du Galo » qui laissaient entrevoir une guerre de documents entre associations (plutôt une guerre d’ego, car les dites associations n’ont semble-t-il aucun projet autour de ces documents). Ainsi va la vie, ou plutôt ainsi va la mort annoncée de notre pauvre langue !
Ne le cachons pas, j’ai une certaine nostalgie de ces années 1978-85 dans lequel nous vivions dans un fantastique bouillonnement intellectuel et pourtant tellement appliqué autour de l’avenir du Gallo. Des réunions où nous débattions de nos travaux respectifs, notre commission « Chomei Aneit » de l’association « Amis du Parler Gallo/Bretagne Gallèse » avec notre enquête en cours, les créateurs de l’ALBRAM avec J.P. Chauveau (quel travail sérieux !), l’association « Maezoe » avec A.J. Raude et sa belle graphie étymologique « ELG Ecrire le Gallo, le Britto-roman », et même l’association « Vantyé » avec sa revue Pihern par Yann-Mikael qui s’était un peu fourvoyé dans sa surestimation du rôle du Breton, mais le tout compensé par la puissance de conteur d’E. Cogrel : il faut l’écouter dans son recueil livre-CD (« Eugène Cogrel raconte », 2012), une petite centaine de petits textes remplis de finesse, d’émotion, de poésie, voire d’un érotisme léger dans son beau parler de Guémené-Penfao. Sans oublier les « francs-tireurs » comme Claude Bourel et sa connaissance du parler de Loudéac ou Pierre Hervo du parler de La Gacilly (Pierre, inséparable de sa petite mallette de bois, pleine de ses fiches montrant entre autres la spécifique façon de prononcer en « an » ce qui est partout ailleurs prononcé en « ain » : le « pan », « deman », « la man » (de quoi faire pâlir un Poitevin qui verrait ici l’évidence d’une influence poitevine à La Gacilly !). Le tout à côté de l’association Bretagne Gallèse qui ne se maintenait que par sa force de communication dans l’organisation de fêtes animées par des concours de Menteries, sympathiques mais un peu dépassés, et de « chants-Gallo », mais avec si peu de Gallo dedans. C’était une donnée véritable de l’époque où dans les repas de fêtes familiaux on terminait avec de tels chants « Gallo » : j’ai des souvenirs d’un « Ma p’tite les bagues que je te donnerai ne te feront pas ma au dé. Je les donnerai z à d’autres qui seront pus belles que té, et té ma p’tite Janette, tu rest’ras de côté » avec juste quelques colorations Gallo (ou supposées telles), juste pour les rimes. Il n’y avait en effet pas de chansons traditionnelles en Gallo à l’époque (contrairement à ce qui se passait pour le Breton, par les « gwerzioù, par exemple). C’est pourquoi j’ai toujours été sceptique sur la possibilité d’une initiation efficace au Gallo par la chanson.
Dans le début des années 80, j’ai été, dès sa création, par le fait de ma résidence parisienne, le correspondant Gallo de l’association DPLO (Défense et Promotion des Langues d’Oïl) qui fédère les revendications du Gallo (à l’époque « Bretagne Gallèse »), du Normand (« Parlers et traditions populaires de Normandie » avec sa revue « Le Viquet »), du Picard (« Ch’Lanchron » et « Chtipicar »), du Poitevin (« UPCP Union Populaire de Culture Poitevine »), du Morvandiau-Bourguignon (« Lai Pouelée » et « Langues de Bourgogne »), puis plus récemment du Champenois (« Lou Champaignat ») et du Wallon de Belgique (« Comité des langues romanes endogènes de Belgique »). Par contre, le Mainiot, comme l’Angevin, n’ont malheureusement jamais été représentés à DPLO à cause de l’absence totale d’organisations revendicatives autour de ces langues et de leur quasi disparition en tant que langues vivantes (ils ne sont d’ailleurs plus dénommés qu’en tant que « Mayennais » ou « Sarthois »).
Ma délégation à DPLO m’a permis de me confronter aux expériences d’autres langues minorisées, dont en général la revendication d’institutionnalisation était moins avancée que pour le Gallo (une volonté d’analyse et de recensement de la diversité plus importante, mais une volonté de synthèse pour l’écriture et l’enseignement plus limitée). Cette confrontation m’avait ainsi permis de partager des expériences en matière d’étude linguistique grammaticale et lexicale. A une époque où le parler du Pays de Retz ne me préoccupait pas plus que les autres parlers de Haute Bretagne, j’ai pu ainsi participer à des confrontations dans les méthodes utilisées par les militants d’autres langues. Ainsi, l’expérience de Michel Gautier sur le Poitevin (qui avait 10 à 20 ans d’avance sur notre travail sur le Gallo en matière de lexicographie et de grammaire) nous a été très profitable avec son expérience de constitution de lexique (« Le bia parlange » en 5 volumes thématiques par l’association « Arantele » de l’UPCP, en 1980-83) et de grammaire (en particulier par la très complète grammaire de M. Gautier « Grammaire du Poitevin-Saintongeais, parlers de Vendée, Deux-Sèvres, Vienne et Charente, Charente-Maritime » Geste éditions 1993).
Ma présence à DPLO a beaucoup élargi mes connaissances sur les langues d’Oïl que je n’avais à cette époque que concernant les parlers Gallo du Pays de Loudéac, du Goëlo et du Vendelais, et les parlers Manceaux (Bas- et Haut-Mainiot). La confrontation dans les discussions entre militants sur les spécificités des différentes langues d’Oïl m’a été très formatrice et a même dépassé par la richesse de ces discussions les seules langues d’Oïl représentées à DPLO :
Ainsi, l’adjectif demonstratif Gallo « la chaire-la » (pour le français « cette chaise-là ») que je croyais directement être tiré du Breton « ar gador-mañ », alors que je le retrouvais dans les langues d’Oïl de l’Est (en particulier le Lorrain roman).
Egalement notre emblématique « Tertout » (pour le Français « Tous », voir mes souvenirs d’enfance ci-dessus) que j’entendais dans mon Gallo, tant du Goëlo que du Vendelais, et dans le Mainiot de mon enfance était tout aussi emblématique du Picard (jusqu’à être présent dans le nom du collectif d’associations militantes picardes « Tertous »), du Poitevin, du Morvandiau, du Wallon….
De la même façon encore j’ai retrouvé intégralement dans la bouche des militants normands notre formulation Gallo « un biao oésè, des biaos oésiaos » (pour le Français « un bel oiseau, des beaux oiseaux »), ou notre « Vère » Gallo pour le « Oui » français.
Auprès de ces camarades normands, j’ai découvert que les parlers normands du Sud de la « ligne Joret » (voir Partie II-A) étaient bien différents du Normand officiel et, en réalité, plus proches de mon Mainiot que du Normand officiel. J’ai ainsi découvert que la langue Normande que défendaient les militants ne correspondait qu’aux parlers du Nord de la ligne Joret, c’est-à-dire une seule moitié du domaine historiquement normand. J’ai retrouvé bien plus tard cette différence entre les parlers Normands du Sud et du Nord de cette fameuse ligne Joret dans un article de F. Manzano (1996, voir Partie II-A)
J’ai appris alors par les camarades picards que la « ligne Joret » des Normands se poursuivait en quelque sorte loin vers le Nord jusqu’à délimiter précisément le Sud de la zone du Picard, tant en France qu’en Belgique. J’ai appris également de ces militants que le terme de « Chti » n’était absolument pas équivalent à celui de « Picard », le premier étant dépréciatif ou au mieux humoristique.
Mes discussions avec les militants poitevins m’ont enfin été très fructueux (et m’ont apporté quelque sentiment de jalousie) quand je les ai vus si fiers de leur emblématique pronom personnel « i » pour « je » français. On peut l’entendre de nos jours dans le percutant sketch « I t’aime » de Yannick Jaulin, véritable ambassadeur du Poitevin (vendéen), où l’auteur déclare sa flamme à une jeune femme avec un « i t’aime » (je t’aime). La femme ignorant tout du parler vendéen (comme moi à l’époque), comprend sa phrase comme « il t’aime » et ne comprenant pas qui l’aime, n’accède pas sa déclaration d’amour.
(https://www.youtube.com/watch?v=mifij0zxO_4).
Curieusement, ma connaissance de ce statut du pronom personnel en « i » m’a enfin permis de prendre conscience d’une horreur que j’avais entendue sans en comprendre la portée une dizaine d’années auparavant pendant mon service militaire. A l’époque j’ignorais tout de cette grande particularité du Poitevin. Un compagnon parisien de chambrée me parlait de son grand-père originaire de l’Ile de Ré qu’il considérait comme un peu bizarre car « il parlait toujours de lui à la 3ème personne, par exemple « Depuis longtemps i boit pas beaucoup de vin » … J’ai, grâce à ma participation à DPLO enfin compris qu’il n’avait jamais imaginé, en bon parisien, que son grand-père parlait une autre langue, le Poitevin.
Et c’est encore dans nos discussions à DPLO que j’ai appris, de ces mêmes militants qui luttaient officiellement pour la reconnaissance du Poitevin-Saintongeais, que leur « i » emblématique n’existait qu’en Poitevin et pas en Saintongeais.
Beaucoup d’informations autour de cet emblématique « i » Poitevin, que nous verrons dans toute son importance dans la Partie IV-B.
Je me rappelle avoir été désorienté, voire même un peu humilié lorsque je me suis rendu compte que ce que je ressentais comme la grande originalité du parler de Mémé (Sylvaine Billot), notre correspondante au Pays de Retz, ses « queu » et « quelle » pour l’adjectif démonstratif masculin (ce … là) et féminin (cette … là) (qui comblait donc avantageusement l’absence de spécificité du Gallo du Nord sur ces points : « le … là ; la … là ») ressemblait beaucoup au Poitevin. Mais ma dignité fut sauvée quand je me rendis compte au cours de mes relations avec l’Occitan Limousin de la revue La Clau lemosina (voir plus bas) que ce n’était pas seulement en relation avec le Poitevin, mais finalement en relation avec toutes les formes romanes du Sud (voir Partie IV-B), ce qui donnait une autre dimension aux relations entre langues que la seule « contamination » d’une langue par une autre.
On retrouvera tous ces points concernant les différentes langues d’Oïl dans la Partie II A où une carte aidera à la compréhension de ces perméabilités linguistiques entre régions de l’Ouest de la France.
Une belle leçon d’humilité linguistique pour toutes nos langues d’Oïl ! Une belle leçon aussi pour comprendre que le concept de « langue pure » est inapplicable pour nos langues minorisées, car toutes nos langues sont reliées et perméables. Une belle leçon aussi pour comprendre que pour un Gallo, les mots « Poitevin » et « Normand » ne sont donc pas des insultes, mais plutôt des sources d’enrichissement linguistique.
Au nom de l’association Bretagne Gallèse, en compagnie de Gilles Morin président de l’association, j’ai rencontré en 1981 Henri Giordan lors de sa rédaction du rapport sur les langues régionales de France demandé par le Président Mitterrand nouvellement élu. Ce rapport « Démocratie culturelle et droit à la différence » (1982) reconnaissait officiellement le Gallo en tant que langue et demandait l’application d’un « principe de réparation historique pour les langues régionales de France ». Ce rapport n’avait que peu apporté à la reconnaissance d’autres langues d’Oïl dans le domaine de l’enseignement comme le Picard ou le Poitevin. En effet, pour ces langues (pourtant plus spécifiques que le Gallo, il faut le reconnaitre même si ça nous fait mal, nous Gallo !), les militants avaient plus développé un esprit d’analyse, par description de la diversité, que de synthèse, par recherche d’une unité (voir plus haut). A la suite de ce rapport Giordan, lors de l’instauration du Gallo en option au baccalauréat en 1983-84, j’ai assuré la fonction de (seul) correcteur de l’option Gallo pour les candidats bacheliers pour la Région parisienne. Ce fut clairement un pas important pour le mouvement Gallo. Mais il reste néanmoins associé pour moi à une déception certaine car je n’ai alors rencontré aucun candidat venu proposer de document intéressant, autre qu’une fable de La Fontaine en « patois » glanée dans la presse locale alors que des publications beaucoup plus intéressantes étaient pourtant déjà proposées par le mouvement Gallo (par exemple « Anthologie de littérature gallèse contemporaine » que nous avions éditée en 1982). L’atmosphère chez les quelques lycéens que j’y rencontrai était clairement de l’ordre de l’essai de grignoter sans risque ni investissement quelques points à moindre coût à l’examen.
En Pays de Retz (de 1990 à nos jours)
Lors de mon « retour en Bretagne » en 1990, je me suis installé dans le Pays de Retz où j’habite toujours.
Dès 1991 j’ai fait partie, en tant que responsable sur le Gallo, du CA de l’Association des Amis du Pays de Retz (sous la direction de Roland Le Moigne, paydret d’origine, co-fondateur de l’association « Sonneur de Veuze » dans les années 70, et professeur de Breton) qui lutte pour promouvoir la culture du Pays de Retz et gère le Musée du Pays de Retz à Bourgneuf-en-Retz (voir Partie II-B). A ce titre j’ai pu enfin entrer en relation directe avec « Mémé » (Sylvaine Billot, qui avait été notre correspondante sur le Gallo du Pays de Retz à notre association Aneit des années 80). « Mémé » avait publié plusieurs livres sur le parler du Pays de Retz, nous avait laissé une abondante documentation lexicale et grammaticale sur son parler de Chauvé. Elle avait aussi écrit de nombreux articles en « patois paydret » dans les années 70-80 dans l’hebdomadaire « Le courrier de Paimboeuf » qu’elle m’avait envoyés directement à Paris à cette époque. J’ai pu, au nom de l’association des Amis du Pays de Retz, continuer un collectage auprès de Sylvaine Billot dans la Maison Retraite à Pornic où elle s’était retirée depuis la mort récente de son mari. J’ai enfin pu l’enregistrer lisant les contes qu’elle avait écrits. A ce sujet me revient une grande maladresse, dont j’ai grande honte. Parmi les contes de Naou (Noël) que Mémé m’avait envoyés une dizaine d’années auparavant, un conte « Le cherche-pain » (« Le courrier de Paimboeuf », juillet 1982) m’avait particulièrement ému. Il racontait la douloureuse vieillesse d’un couple très uni sauvé par sa générosité et son hospitalité envers autrui. Mais, aveuglé que j’étais par l’émotion d’enregistrer Mémé lisant ce conte que j’appréciais tant (j’arrivais à chaque fois à la Maison de Retraite avec mon petit bouquet et Mémé disait en riant à ses copines qu’elle recevait son « galand »), j’avais oublié quelque chose d’important. Ce conte avait été écrit 10 ans avant l’entrée de Mémé dans son Ehpad et la mort de son mari (auquel elle était restée unie pendant près de 70 ans !). Le conte commence par un rappel sur le fait qu’à l’époque décrite dans le texte, les familles ne se débarrassaient pas des anciens comme maintenant en les plaçant en maison de retraite. La société les intégrait aux activités domestiques et à l’éducation des enfants. Arriva donc ce qui devait arriver : Mémé s’écroula en larmes dès la première phrase et nous avons dû reporter l’enregistrement. Honte sur moi !
En 1993, j’ai participé à la première traduction en Gallo des aventures de Tintin « Les équeroueys à Tintin. Sus l’ile naire » avec Jean-Yves Bauge, Patrik Deriano, André Le Co et Bertrand Obré (aux éditions « Rue des scribes »). Pour sa parution j’avais organisé au Musée du Pays de Retz avec l’association des Amis du Pays de Retz (et la participation de 2 des co-traducteurs J.Y. Bauge et B. Obré) une journée sur le Gallo et lancement d’une enquête sur « Le parler du Pays de Retz » relayée par Ouest-France et Le courrier de Paimboeuf.
En 2014, j’ai co-organisé (avec Thierry Jamet, éditions An Amzer) un stage de Gallo à Pornic (Pays de Retz) et réalisé une causerie sur le thème « Et le parler du Pays de Retz, c’est du Gallo ? ». Cette question devenait récurrente et les débats qui avaient alors cours manquaient cruellement de sérieux. (voir l’Introduction du présent travail).
En 2016, j’ai renoué des relations (linguistiques uniquement cette fois-ci, sur le thème du Gallo) avec l’UDB (Union Démocratique Bretonne). J’avais en effet rédigé en 1981, dans le supplément du Peuple Breton (mensuel de l’UDB) consacré au renouveau Gallo, un article introductif sur la nécessité d’une graphie unifiée « Ecrire le Gallo, un problème politique » (voir plus haut). Une quarantaine d’années après cet article j’ai participé, en tant que membre extérieur invité pour mon expérience, aux travaux d’une commission dirigée par Gaël Briand, directeur du Peuple Breton, pour faire avancer les propositions de ce parti sur le Gallo. Mes idées et suggestions ont été bien accueillies et partagées par la commission, aboutissant aux grandes lignes des propositions pour le Gallo par l’UDB (propositions publiées dans le Peuple Breton n°658 de novembre 2018)
En 2019, j’ai participé avec Patrik Deriano à la création d’Olepei (en Gallo : « vers le haut ») maison d’édition associative en Gallo, utilisant la graphie unifiée inter-dialectale de l’« Académie du Gallo » (voir la Partie VI). J’y œuvre depuis au sein du bureau sur les relectures et traductions des livres que nous publions à raison d’un livre par an : « Aotant en ramene Montbran » d’André Montfort (2019), « La semaene ao Frere Arturo », traduction du roman de Youenn Drezen en Breton (2020), « Entr l’us e l’usset » de Patrik Deriano, avec version audio sur Radio Plum-FM (2021) et « La ferme ez beytes » traduction du roman de George Orwell en Anglais (2022, sous presse).