Culture bretonne de Saint-Nazaire (Brière/Presqu'île Guérandaise/Pays de Retz)
Cette publication 4 est une présentation du parcours de Thierry Magot lors de sa vie d'adulte , parcours au niveau des langues . partie 2/2 de ce parcours adulte
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Avant propos de Karrikell
J'ai l'immense plaisir et honneur d'accueillir sur mon blog Thierry Magot, que je considère comme un véritable érudit des langues, et en ce qui nous concerne du gallo.
La teneur de son exposé qui sera publié ici en plusieurs publications, véritable série ou feuilleton, démonte les affirmations lapidaires de personnes n'y connaissant rien , comme classant le parler de Retz comme un parler Poitevin .
Il est vraiment dommage que le mouvement breton répète à l'envie cette affirmation erronée !
Le mouvement culturel breton se tire une balle dans le pied en faisant le jeu des partisans de la division .
Entre les tenants du "Grand Poitou" (il y en a et certains sont présents en Pays de Retz (historiens du Pays de Retz par exemple, association qui classe ce terroir "entre Bretagne et Poitou",les autres étant les militants culturels poitevins) et les partisans des Pays de la Loire, la Bretagne n'a pas besoin de chiens de Pavlov bretons répétant les choses sans rien y connaître .
Lisez Thierry Magot !
Son exposé est salvateur et va dans le sens de la réunification non seulement politique mais culturelle .
Je publierai peu à peu , publication par publication , l'exposé de Thierry Magot.
Hervé Brétuny, Blog Karrikell
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Partie I-B
A quel titre puis-je me permettre de proposer une réponse à une telle question ?
(la suite)
Ma vie adulte (des années 70 à aujourd’hui). Activités militantes sur le Breton, sur le Gallo, dont le parler du Pays de Retz, et connaissance sur le Haut- et le Bas-Mainiot, ainsi que sur d’autres langues minorisées
En 1972 mes parents se sont installés en milieu rural dans la Sarthe à Vivoin-sur-Sarthe à 30 km du Saint Léonard des Bois de mon enfance, mais cette fois-ci de parler Haut-Mainiot (notablement différent du Bas-Mainiot, en particulier dans les prononciations des infinitifs et participes passés des verbes du premier groupe (Bas-Mainiot infinitif et participe passé en « ë », Haut-Mainiot infinitif en « é », participe passé en « è » ; voir pour ce point en Gallo la Partie IV-A).
A cette occasion, j’ai pu affiner mes connaissances sur le Mainiot :
Séances de travail avec Roger Verdier : Dans les années 80, j’ai ainsi rencontré à plusieurs reprises à Connéré (Sarthe) Roger Verdier l’infatigable défenseur du Haut-Mainiot qui m’a offert ses livres désormais introuvables (qu’il confectionnait lui-même à son domicile avec son écriture manuelle personnelle adaptée à la prononciation mancelle en utilisant sa « mécanique à imprimer »). En particulier sa « Grammaire du dialecte du Haut Maine » et son « Dictionnaire du patois du Haut-Maine », auto-publications du Râcaud. J’ai publié en 1980 dans le Lian, revue de Bretagne gallèse, un article sur le Mainiot et mes entretiens avec Roger Verdier « Nos vaizeins du Maene ».
Roger Verdier m’a orienté vers le concept de transition des parlers d’Oïl centraux (Beauceron, Orléanais, Percheron, voir carte dans la Partie II-A) en me mettant au contact avec Marie-Rose Simoni-Aurembou, la linguiste spécialiste de ces parlers, directrice de l’ALIFO (Atlas Linguistique et Ethnographique de l’Ile de France et de l’Orléanais, Perche et Touraine). Elle avait entre autres réalisé un travail très complet sur le dialecte Percheron quand il était encore vivant dont elle a pu me faire profiter. Ces contacts avec R. Verdier puis M.R. Simoni-Aurembou m’ont permis de me constituer une fantastique documentation sur le Mainiot et sur ses voisins, les parlers d’Oïl centraux. Leur conception de la transition des langues d’Oïl du Mainiot vers les parlers centraux, associée à la perméabilité des langues d’Oïl que je ressentais à DPLO (voir ci-dessus), et à mon expérience familiale du Gallo vers le Mainiot a déclenché dès les années 80 ma vision du Gallo en tant que langue de transition (Partie II-A) et non plus en tant que langue-isolat, vision qu’ont encore certains militants Gallo. Cette dernière conception, totalement aberrante en termes linguistiques est malheureusement désormais un peu plus crédible compte tenu de l’effondrement du Mainiot et des parlers d’Oïl centraux et de
l’abandon semble-t-il définitif du domaine revendicatif de la part des derniers locuteurs passifs.
Introduit encore par Roger Verdier, j’ai adhéré dans les années 80, à l’Association « Trésor du Parler Cénoman », représentative du Haut-Mainiot et du Bas-Mainiot, nouvellement créée, en tant que porte-parole actif du Gallo et de notre association Aneit. Cette association organisée en « société savante » et association culturelle patrimoniale sans véritable revendication a publié en 1985 un lexique de « Parler Sarthois ». Elle a organisé en 1990 à Vivoin-sur-Sarthe, avec l’aide du Conseil Général de la Sarthe un colloque « intitulé « Le parler Cénoman, mon patois et moi » auquel j’ai participé avec une intervention présentant au nom de notre association Aneit notre expérience de Graphie unifiée inter-dialectale du Gallo, selon nous outil incontournable de l’enseignement de toute langue minorisée (voir la Partie VI). Ma connaissance personnelle de la diversité des dialectes du Maine m’a même permis d’aborder les capacités de notre graphie pour l’écriture d’une langue d’Oïl proche comme le Mainiot. Gabriel Guillaume et Jean Paul Chauveau les 2 linguistes gallésants artisans de l’ALBRAM (Atlas Linguistique de la Bretagne Romane, de l’Anjou et du Maine) ont exposé leurs résultats concernant les parlers du Maine dans cet Atlas linguistique. Les actes du colloque, dont mon article « Une expérience de graphie unifiée : l’écriture du Gallo, langue bretonne romane » ont été publiés en 1991 par l’association « Trésor du parler Cénoman », accompagnés d’enregistrement sur cassettes des communications.
Les activités de cette association (et d’autres petites associations dans la Sarthe, dont la revue Cénomane) ont continué dans les années suivantes, avec les mêmes objectifs culturels sans revendication précise. En accompagnant la disparition, dans les faits, des dialectes manceaux, elles ont néanmoins abouti dans les décennies suivantes à d’intéressantes publications comme le livre-CD « Trésor du parler cénoman » (2004) et plus récemment la publication de trois tomes des « Aventures de Tintin » / Les vernées au Tintin » accompagnés de glossaires). A ma connaissance les publications en Mainiot n’existent plus que dans le domaine humoristique et patoisant et le Mainiot est lui-même relégué au seul domaine patrimonial. Il faut également bien se rendre compte que le Mainiot s’appauvrit et se francise inévitablement décennie après décennie. La faible conscience de l’identité d’une communauté du Maine est probablement à la base de cette triste destinée du Mainiot.
Rencontre avec les dialectes de l’Occitan
J’ai toujours eu le regret de n’avoir pas connu mon grand-père paternel occitanophone Quercinois (sous-dialecte du Languedocien). On n’a pu me transmettre de lui que quelques-uns de ses mots. Je n’ai connu de son pays natal que son village d’enfance, expérience décevante auprès de locaux qui ne l’avaient jamais rencontré et qui avaient pour la plupart perdu leur langue occitane. Puis j’ai brièvement rencontré le magnifique militant chanteur Languedocien Claude Marti (voir plus haut). Plus tard encore, militant Gallo à l’association Aneit dans les années 80, j’ai pu entretenir des contacts réguliers entre notre association Aneit et la revue en Occitan Limousin « La Clau lemosina » (dont j’ai un peu parlé plus haut) avec, entre autres, une présentation du Gallo que j’avais réalisée dans notre graphie unifiée (qui s’inspirait quelque peu de la graphie « classique » occitane inter-dialectale (voir Partie VI) et la publication d’un texte de mon ami Jean-Yves Bauge dans notre graphie. Mon intérêt pour les dialectes de l’Occitan a été renouvelé plus tardivement par l’entrée dans ma famille d’une jeune occitanophone (Occitan Rouergat, sous-dialecte du Languedocien), familialement impliquée dans les Calendretas (système d’écoles en enseignement occitan par immersion, proche du système Diwan pour le Breton). Elle a suivi les cours de Licence d’Occitan (Langue et Littérature) de l’Université de Montpellier avec, en particulier l’infatigable militante de l’Occitan Auvergnat MJ Verny. Ces cours ont été suivis en « distanciel » à Nantes, près de chez moi, et j’ai donc pu y assister indirectement assez souvent et en discuter sérieusement avec elle. J’ai ainsi beaucoup appris sur la dialectologie occitane et les graphies utilisées pour son renouveau. Le tout s’est fait avec émotion car le Rouergat parlé par cette jeune occitanophone est réputé comme très proche de l’Occitan Quercinois que parlait mon grand-père. Une boucle partiellement bouclée au-delà des générations.
Activités sur la défense des langues minorisées de France
Publication depuis 2021 d’articles sur les langues minorisées de France sur le Blog de SVTégalité (qui milite contre les discriminations à l’école) :
Dossier « L’école, au cœur du destin des langues régionales en France métropolitaine ». En plusieurs parties : Déjà publié : Partie 1 « Etat des lieux ». En cours de publication : Partie 2 « Pourquoi vouloir sauver les « langues régionales » de France ? »
Mes expériences sur diverses langues minorisées dans le Monde
Ces expériences m’ont montré l’importance de l’écriture (alphabet adapté et graphie unifiée) dans la sauvegarde des langues minorisées. Elles ont ainsi fortement influencé mon attitude et mes actions dans le domaine de la recherche et de l’application d’une langue unifiée inter-dialectale pour le Gallo.
Ces contacts ont été rendus familialement possible à l’occasion :
a-Des mariages qu’on pourrait qualifier de linguistiquement « exogames »
a1- Yiddish et Judéo-espagnol (Ladino)
Le Yiddish est la langue des juifs ashkénazes à laquelle j’ai été confronté à la suite de mon mariage avec une femme dont une grande partie de la famille d’origine polonaise a été décimée à la suite de la Rafle du Vel d’Hiv de 1942. Cette langue Yiddish, qui peut être considérée comme un dialecte allemand, est en mauvais état en France et en Europe dans les communautés juives résiduelles à la suite de la Shoah, à cause d’une forme de rejet, compréhensible mais regrettable, par les locuteurs. Malgré son écriture officielle et traditionnelle par l’alphabet hébreu (à dire vrai, bâti par surestimation de l’influence de l’Hébreu sur le Yiddish) et l’obtention d’un prix Nobel de littérature en 1978 (Isaac Bashevis Singer), la transmission familiale ne s’est pas faite et cette langue guère soutenue en Israël dans la compétition avec l’Hébreu (référence
unificatrice sur des bases religieuses, ce que contestait ma belle-mère, juive profondément laïque et antisioniste) elle est, dans les faits une langue minorisée en voie de disparition. C’est regrettable car le yiddish aurait pu souder le peuple Ashkénaze sur une base véritablement populaire prenant en compte une culture autochtone (et non pas religieuse) et basée sur autre chose qu’un mythe national uniformisant (comme celui qui règne en France).
L’entrée dans ma famille de conjoints Sépharades d’origine tunisienne m’a sensibilisé au Judéo-espagnol (appelé aussi Ladino), langue des juifs Sépharades de la diaspora originaire d’Espagne autour de la Méditerranée, en particulier au Maghreb. Langue quasi morte au Maghreb mais qui connait un renouveau actuellement dans la diaspora Sépharade. Cette langue peut être considérée comme un dialecte Vieux Castillan (XVème siècle), avant l’expulsion des juifs d’Andalousie avec des particularités : le « j » guttural (jota) n’est pas encore apparu et la distinction entre « v » et « b » est conservé contrairement à l’Espagnol et au Languedocien. Le renouveau dans la diaspora est réalisé en utilisant l’alphabet latin (contrairement à des tentatives infructueuses avec l’alphabet hébreu par imitation du Yiddish). Le judéo-espagnol est présent, incorporé au répertoire de chant dit Gharnati (« de Grenade ») traditionnel marocain de chants arabo-andalou avec Amina Alaoui, par exemple. Comme le Yiddish, Le Judéo espagnol n’est guère pris en compte en Israël qui leur a préféré l’Hébreu, langue artificielle, comme le Latin pourrait l’être pour les peuples Roumain, Français ou Italien, et qui cherche à unifier sur des bases principalement religieuses.
a2- Arabe classique et dialectal, langues Berbères
A la suite de mon mariage avec une femme d’une tribu berbère Chleuh du Sud-Maroc, j’ai été confronté aux cultures et langues marocaines. J’ai suivi des cours d’Arabe classique et coranique à la Mosquée de Nantes (la plus grande mosquée de Bretagne) et des cours d’Arabe standard, en version essentiellement orale à la Formation permanente de l’Université de Nantes, tandis que l’Arabe dialectal marocain (aussi distinct de l’Arabe classique que le Gallo, comme n’importe quelle autre langue d’Oïl, peut l’être du Français standard), était pratiqué à la maison entre ma femme et nos enfants. J’ai également abordé ce dialecte dans des cours de « Darija » (dialecte marocain) aussi bien basés sur l’alphabet arabe adapté au Darija (« Moroccan Arabic Text Book », méthode de Darija pour les Casques Bleus cantonnés au Sahara Occidental sous occupation marocaine, 2011), que basés sur l’alphabet latin (« Cours d’Arabe maghrébin » C. Canamas, éd. L’Harmattan, 1989). J’ai ainsi pu me rendre compte que l’écriture arabe classique (basée sur l’écriture exclusive des consonnes et des voyelles longues) était tout à fait capable d’être utilisée pour la variété dialectale marocaine (qui se différencie essentiellement oralement de l’Arabe classique par la suppression des voyelles courtes, voyelles justement non marquées dans l’écriture classique). Il n’en est pas de même par contre de la transcription de l’arabe dialectal basée sur l’alphabet latin (qu’on voit aussi fleurir dans la communication sur les réseaux sociaux chez les jeunes arabophones immigrés, procurant une communication décontractée liée d’ailleurs à l’abandon de la transmission familiale), qui est beaucoup moins convaincante à cause de l’absence de lettres adaptées à la richesse consonantique arabe.
Une anecdote sur l’utilisation de la langue arabe par mes enfants qui montre l’esprit d’ouverture universaliste des écoles Diwan : alors que mes enfants étaient scolarisés en classe maternelle à Diwan à la fin des années 90, je conversais en Breton avec eux à la maison et ma femme conversait en Arabe dialectal (Darija). Les instituteurs, ayant remarqué qu’ils parlaient entre eux en Arabe à la récréation, ont demandé à ma femme de venir apprendre une chanson en Arabe à la classe. Cette chanson a été interprétée par la classe lors de la fête de l’école et a eu beaucoup de succès. Le triste de cette histoire est que lorsque nos enfants ont été retirés de cette école à la suite d’un déménagement, c’en a été fini pour eux du Breton comme de l’Arabe à l’école, l’école publique ne permettant pas d’autre langue que le Français. Mes enfants sont maintenant des
adultes binationaux marocains/français fiers de leur diversité culturelle (arabe, française, berbère et bretonne).
Pendant nos vacances en famille dans la tribu de ma femme, dans un milieu berbérophone (langue Tachelhit des Berbères Chleuh de l’extrême Sud Marocain, un des 3 dialectes berbères du Maroc), j’ai été régulièrement confronté à la situation d’oppression de cette langue. Pendant les années de dictature sous Hassan II, le Berbère était rejeté de toute institution. Les dialectes étaient néanmoins très valorisés et parlés au quotidien dans les familles. Une anecdote : un jour, de passage chez un vieil oncle dans un village reculé des montagnes du Pays Chleuh, j’ai voulu, comme toujours, valoriser mon identité bretonne en disant que j’étais breton et que je parlais Breton. Mon affirmation a suscité beaucoup d’enthousiasme sur les qualités des Bretons et la grande similitude des cultures (ce que je crois) et des langues (ce qui me semble un fantasme, néanmoins éloquent). J’ai depuis entendu la même affirmation de cette similitude de langue dans la bouche de militants bretons. Depuis l’arrivée de Mohammed VI en 1999, la libéralisation (relative) de la société a amené petit à petit la prise en compte de sa berbérité avec introduction à l’école. Et, fait intéressant et plein d’espoirs, les militants des dialectes berbères au Maroc ont choisi pour la valorisation de la langue un système d’écriture et un alphabet spécifique traditionnel du dialecte Berbère Tamasheq (Touareg), pourtant non pratiqué au Maroc : l’alphabet Tifinagh.
b-De séjours chez des membres de ma famille expatriés hors d’Europe :
b1-Mapudungun (langue amérindienne du Peuple Mapuche, Chili et Argentine)
Au Chili en pays Mapuche, j’ai été confronté aux problèmes de cette langue, dans sa diversité de 3 principaux dialectes du Mapudungun (Huiliche dans l’ile de Chiloe, Lafkenche sur la côte chilienne, Pehuenche dans les montagnes de la Cordillère des Andes), classés par l’UNESCO comme le Breton et le Gallo, comme « sérieusement en danger ». J’ai eu la chance de rencontrer un couple mixte d’amis Pehuenche/Lafkenche de retour d’un long exil en France sous la dictature de Pinochet, et donc francophones, qui m’ont prodigué quelques cours d’initiation au Mapudungun (langue agglutinante, comme le Basque ou le Turc). Cette langue, dans un pays industrialisé comme le Chili, est dans un état qui m’a tristement rappelé la situation du Breton par l’écroulement complet de la transmission familiale en grande partie lié à un rejet du Mapudungun par les familles par volonté de favoriser l’ascension sociale des enfants. Un triste exemple d’application de la « violence symbolique », définie par le sociologue Pierre Bourdieu et décrite dans son application au Breton dans la récente thèse de Rozenn Milin. Mais à la différence du Breton, il n’existe aucun projet d’enseignement cohérent, aucun projet de Mapudungun standard, aucun projet d’écriture véritablement unifiée, comme mis en évidence par la délégation Mapuche au Festival de Cinéma des minorités de Douarnenez de 2015. Il n’existe donc aucun avenir pour une communauté soumise à un important exode des jeunes vers les grandes villes hispanophones, en dehors de petites séances d’initiation basées sur des chansons ou des comptines inefficaces pour la survie d’une langue.
b2- Langues Mandé du Mali (Bambara, Malinké, Soninké, Dioula)
Au Mali, en Pays Bambara, j’ai été confronté à l’existence des langues Mandé (« langues à tons », parlées au Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Gambie, Guinée, Sénégal), en particulier au contact d’amis militants de ces langues/dialectes du Mandé. Le problème de la transmission familiale ne se pose pas, mais il existe un problème de l’affichage et de l’enseignement de cette famille de langues.
Depuis 70 ans un alphabet spécifique a été développé par l’intellectuel guinéen Souleymane Kanté dans un souci d’unification des langues Mandé par le mouvement N’ko (terme dont la signification « je parle, je prends la parole » est commune aux différentes langues Mandé). Cette écriture qui représente à la fois les « sons » et les « tons » de la langue a déjà abouti à la production de textes, en particulier autour de l’islam (un ami Malinké m’a ainsi offert un Coran bilingue Arabe/N’ko) et de la « Charte du Mandé », Charte humaniste, véritable déclaration malienne des Droits Humains qui date du XIIIème siècle (peu connue en France, jalouse de son label « Pays des Droits de l’Homme », qui à cette même époque du XIIIème siècle envoyait au bûcher ses Cathares occitans).
Mais dans la volonté récurrente au Mali de prise en compte « officielle » (actuellement le Français est la seule langue officielle) des 13 langues « nationales » (dont 3 du groupe Mandé et le Tamasheq, langue Berbère Touareg) l’utilisation des alphabets spécifiques de ces langues (N’ko pour les langues Mandé et Tifinagh pour les langues Touareg, voir ci-dessus) n’est pas prévue et malheureusement remplacée dans les projets par l’utilisation de l’alphabet latin pour « faciliter la lecture par des francophones ». Cette situation est d’autant plus préjudiciable au Tamasheq du Mali que c’est l’alphabet Tifinagh qui a été reconnu dans l’officialisation récente des langues Berbères du Maroc (voir plus haut).
Au cours de mon séjour au Mali, j’avais été surpris par l’affirmation des militants du N’ko de l’origine commune de l’Egyptien ancien (qui survit encore en tant que langue liturgique des Eglises Coptes égyptiennes) avec les langues africaines Nigéro-Congolaises (comme le Wolof ou les langues Mandé). J’avais eu connaissance de cette théorie (issue des travaux de l’intellectuel sénégalais Cheikh Anta Diop « Nations nègres et culture » édition Présence africaine, 1979) dans les années 80 par un de mes étudiants Mossi du Burkina Faso mais j’avais eu connaissance que la véracité de cette théorie avait été mise en doute par la suite. A mon retour du Mali, titillé par le maintien militant de cette théorie, j’ai pu suivre pendant 2 ans, en Formation permanente à Nantes, des cours d’Egyptien ancien en écriture hiéroglyphique. Cette formation, associée à mes connaissances, acquises au cours des années, sur l’Arabe et le Berbère, m’a montré clairement que, au contraire des théories de Cheikh Anta Diop, l’Egyptien ancien appartenait clairement au groupe des langues Chamito-sémitiques. Ce groupe, qu’on appelle maintenant famille Afro-asiatique, regroupe, entre autres, l’Arabe, l’Hébreu, et les langues Berbères, dont le Touareg), voir Figure 7
Cette famille Afro-Asiatique possède effectivement des caractéristiques communes avec l’Egyptien ancien :
*Ces langues (comme l’Arabe, le Berbère et l’Hébreu) sont reconnues pour leur richesse consonantique (qui est d’ailleurs la base de leurs écritures). Il en est de même pour l’Egyptien ancien et son écriture hiéroglyphique.
*Ces langues ont un caractère fortement genré (en Arabe, par exemple les pronoms personnels sont plus genrés que le Français, avec un genre marqué pour la 2ème personne du singulier (« toi ») et du pluriel (« vous »), alors que les langues nigéro-congolaises, comme le Wolof ou les langues Mandé, sont au contraire non genrées).
*Les langues de cette famille connaissent une notation du féminin par le son « t ».
- Ainsi, en arabe moderne, la marque du féminin est la terminaison « -at », le son « t » n’étant prononcé qu’en liaison ou dérivation, mais cette consonne est présente systématiquement à l’écrit pour différenciation visuelle. Par exemple « habib » (chéri) et « habiba(t) » (chérie) mais « habibi » (mon chéri) et « habibati » (ma chérie), le « i » final marquant le possessif pour la première personne (« mon », « ma »).
- De même en Berbère, la marque du féminin est aussi le « t », mais marqué et prononcé doublement : au début (« t- ») et à la fin (« -t ») du mot. Ainsi « chlh » pour un homme du peuple Chleuh et « tachlhit » pour une femme (ou la langue Berbère du peuple Chleuh, qui est aussi féminin).
- L’Egyptien ancien est ainsi bien intégré dans cette famille Afro-Asiatique et en écriture hiéroglyphique le sigle retenu est en tant qu’idéogramme du féminin et en tant que phonogramme « t ».
J’ai vite comparé la démarche (excessive) de mes amis militants du N’ko à s’obstiner dans l’hypothèse de l’origine prestigieuse de leur langue à celle de certains des militants Gallo des années 70 qui s’entêtaient à surestimer l’influence du Breton dans notre Gallo (Partie II-A).
c-De séjours professionnels en Europe
Des expériences dans les années 80, certes bien moins exotiques mais peut-être plus en rapport avec la situation de notre Gallo.
c1- En Suisse alémanique (séjour professionnel d’un mois à Bern)
Très attentif à l’expérience Suisse, décrite souvent à l’époque comme « exemplaire vis-à-vis du respect des 4 langues autochtones sur son territoire », j’ai vite, au contact des étudiants suisses (germanophones et francophones, quelques rares italophones et aucun romanche) déchanté en prenant conscience que la situation était beaucoup moins idyllique que celle décrite. Une prédominance agressive dans le milieu scientifique de la majorité germanophone, un repli sur soi des francophones qui d’ailleurs n’étaient pas initialement des locuteurs du Français officiel, mais des locuteurs de l’Arpitan, ou Franco-provençal, voir la Figure 1 de la Partie II-A), langue totalement folklorisée. [NB Il en est d’ailleurs de même pour l’Arpitan du Val d’Aoste, folklorisé également dans cette région italienne autonome qui a retenu pour sa co-officialisation linguistique le Français et non l’Arpitan] Quant aux italophones, ils se trouvent totalement marginalisés dans les milieux scientifiques tout au moins. Sans parler des Romanches, principalement dans la région des Grisons, sujets aux pires moqueries en réponse à mes questions sur le sujet du Romanche : « Vous êtes sûrs que ça existe encore ? Hi hi hi ! », « une langue qu’ils utilisent surtout quand on va chez eux pour que personne ne comprenne ») … que le Breton Gallo que je suis a bien connu au sujet de ses propres langues. Il est vrai que, quand j’ai pu enfin observer des publications en Romanche (dans un Salon du livre), j’ai vu que pour un même livre pour enfants, la publication était simultanément réalisée en 3 versions dialectales différentes (pour semble-t-il une quarantaine de milliers de locuteurs recensés au total) : pas de langue standard ni graphie unifiée. Et pas un mot de Romanche chez les animateurs du stand. Le combat Romanche me semblait effectivement mal parti.
c2- En Belgique bilingue (Bruxelles officiellement bilingue, séjour d’un an, encore en milieu scientifique)
Une situation encore très décalée par rapport à mes idées préconçues. Le rejet agressif du Flamand dans le milieu scientifique exclusivement francophone où je travaillais était la règle sous des critiques classiques « ce n’est pas une vraie langue, juste des patois très laids… ». Le seul non francophone natif du labo s’appelant « Van den Berg » était systématiquement nommé « Vandanbèr »). Mais les francophones du labo avaient le même mépris pour les langues d’Oïl Wallon, Gaumais et Picard dont ils ne voyaient qu’un intérêt folklorique et comique, voire grivois, comme dans les chansons de Julos Beaucarne qu’ils chantaient en chœur à la fin des repas de la moindre fête de laboratoire de cette époque et dont je reconnaissais les quelques mots de Wallon, voire de Picard, dont nous parlions à DPLO (voir plus haut) : « toudi » = toujours ; « gayole » = geôle, cage ; « kanter, tchanter » = chanter ; « vir » = voir), mais certainement pas culturel ou identitaire, une simple affirmation comique de leur francophonie, locuteur du Français langue universelle.
Voyant que je m’intéressais néanmoins à leurs langues d’Oïl, plusieurs collègues m’ont conseillé pour me « désintoxiquer » les lectures du livre (« Le bon usage », titre Ô combien évocateur) de leur grammairien Francophone national M. Grevisse, locuteur natif du Gaumais (dialecte Lorrain de Belgique) ayant renié sa langue maternelle pour le Français. Voyant mon peu d’enthousiasme, ils m’ont offert des livres d’une odieuse collection « La chasse aux Belgicismes » éditée à cette époque par le très officiel « Office du bon langage », collection couronnée par l’Académie Française. Chaque livre portait la recommandation emblématique en préface : « Si vous prétendez parler français, n’en restez pas au niveau d’un simple idiome régional : servez-vous du français universel » On y retrouvait des centaines de corrections de langage dont certaines pourraient concerner aussi notre Gallo : il ne faut plus dire « clenche » mais « poignée ou loquet », plus « courerie » mais « course », plus « marier quelqu’un » mais « épouser quelqu’un ».
Quant à la « Communauté germanophone » de l’Est de la Belgique, petite partie locutrice d’un dialecte Allemand (le Francique en difficulté de transmission face à l’Allemand standard reconnu officiellement), dans « les cantons redimés » nom donné par les francophones (« redimés » voulant dire « rachetés » ou «récupérés »), la situation était déséquilibrée avec des zones, dans les faits, passée assez récemment au Français par manque de transmission familiale, même vers l’Allemand.
Evidemment ces observations sur les conditions de la survie des dialectes d’Oïl (mais aussi d’autres filiations d’Europe, comme dialecte Allemand, Romanche ou Arpitan) sont assez anciennes (années 80), mais je pense qu’elles sont lentes à s’améliorer, hors contexte militant, en Suisse, en Belgique …. ou en France : Alerté par un ami Berrichon, je me suis procuré assez récemment un très joli livre sur cette langue d’Oïl qu’est le Berrichon (voir sur la carte dans la Partie II-A, sa localisation) « Le patois Berrichon expliqué aux enfants » aux éditions CPE.
Un lexique très complet (avec d’ailleurs quelques mots proches de notre Gallo), par contre rien sur la grammaire, des illustrations très attrayantes, une volonté de transmission pour le moins culturelle évidente d’après le titre, en accord avec l’ajout en 2008 à la Constitution Française, soit 4 ans avant la publication du livre (2012), de l’article 75-1 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (voir notre article cité plus haut http://svt-egalite.fr/index.php/reflexions-et-outils/langues-minorisees/l-ecole-et-les-langues-regionales-partie-1-etat-des-lieux).
Mais l’ensemble de ce petit livre est animé d’une morale éducative très douteuse : le grand-père qui enseigne son patois à ses petits-enfants les
sermonnent avant de commencer : « Ecoutez bien. N’oubliez pas que ces tournures de langage si particulières doivent rester comme un code secret entre nous … Il ne faudra pas les utiliser à l’école … Compris ? ».
Oui, le message a été compris.
Un petit bilan de vie dans le domaine de la connaissance de langues minorisées
Mon expérience des langues minorisées (connaissance de ces langues, de leur état ou de leur statut), du Gallo au Mainiot, comme du Breton, ou de toutes les langues minorisées que j’ai pu côtoyer m’a montré que toutes ces langues sont à envisager dans la pleine diversité native de leurs dialectes et de leur perméabilité avec les langues environnantes. Cette expérience m’a aussi démontré clairement que la sauvegarde d’une langue minorisée ne peut être envisagée désormais que par la définition d’une langue standard adaptée à la diversité de ses dialectes. Cette langue standard doit alors pouvoir s’exprimer par une graphie unifiée inter-dialectale pour rendre possible son affichage, son enseignement et son officialité. Mais on est déjà là face à un problème politique et plus uniquement linguistique.