Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Culture bretonne de Saint-Nazaire (Brière/Presqu'île Guérandaise/Pays de Retz)

Publication 6 - Le parler du Pays de Retz peut-il être considéré comme du gallo ? Thierry Magot - Partie II-B Le parler du Pays de Retz

Cette publication 6 est une présentation du Parler de Retz, de sa géographie, de son parler,  de sa toponymie, ses costumes, son architecture, de son instrument de musique la Veuze, de son vignoble .

 

---------------------------------------------------------------------

---------------------------------------------------------------------

---------------------------------------------------------------------

 

Avant propos de Karrikell

J'ai l'immense plaisir et honneur d'accueillir sur mon blog Thierry Magot, que je considère comme un véritable érudit des langues, et en ce qui nous concerne du gallo.

La teneur de son exposé qui sera publié ici en plusieurs publications, véritable série ou feuilleton, démonte les affirmations lapidaires de personnes n'y connaissant rien , comme classant le parler de Retz comme un parler Poitevin .

Il est vraiment dommage que le mouvement breton répète à l'envie cette affirmation erronée !

Le mouvement culturel breton se tire une balle dans le pied en faisant le jeu des partisans de la division .

Entre les tenants du "Grand Poitou" (il y en a et certains sont présents en Pays de Retz (historiens du Pays de Retz par exemple, association qui classe ce terroir "entre Bretagne et Poitou",les autres étant les militants culturels poitevins) et les partisans des Pays de la Loire, la Bretagne n'a pas besoin de chiens de Pavlov bretons répétant les choses sans rien y connaître .

Lisez Thierry Magot  !

Son exposé est salvateur et va dans le sens de la réunification non seulement politique mais culturelle .

Je publierai peu à peu , publication par publication , l'exposé de Thierry Magot.

Hervé Brétuny, Blog Karrikell

-------------------------------------------------------

Partie II-B Le parler du Pays de Retz

  1. C’est quoi le parler du Pays de Retz ?

  1. Le pays de Retz ?

J’ai, avec Anton Châtelier, eu l’occasion de présenter longuement en Breton le Pays de Retz et même la spécificité de sa langue grâce à quelques exemples dans la revue « #brezhoneg » (numéro 28 spécial Pays de Retz de juillet-aout 2018). Le Pays de Retz est un petit « pays » de Bretagne (depuis le IXème siècle) organisé en un ensemble historiquement très stable d’une cinquantaine de communes entourées d’eau, coincées entre la mer à l’Ouest, la Loire au Nord, le gigantesque et pourtant si discret lac-marais de Grand-Lieu à l’Est et le Marais Breton au Sud (Figure 1). En venant de Nantes pour pénétrer donc dans ce qui est une sorte de presqu’ile, « presque une ile », surtout l’hiver lorsque le niveau d’eau est à son plein, il fallait autrefois obligatoirement passer par le pont de Port-Saint-Père (« port » au sens de « passage ») sur l’Achenau (le « chenal du Tenu » en parler du Pays de Retz, qui change curieusement de sens d’écoulement suivant les saisons, coulant de la Loire vers le grand lac puis le Marais Breton et la mer en été et du Marais Breton vers le lac puis la Loire en hiver).

Ce relatif isolement du Pays de Retz du reste de la Bretagne au Nord et à l’Est comme du Poitou au Sud, explique à mon avis son originalité culturelle et linguistique. Il en est de même de sa « conscience de pays ». Le Pays de Retz est à ma connaissance l’un des pays de Bretagne à très forte conscience de pays, comme l’indique le grand nombre d’enseignes de commerces ou d’associations ou de noms de communes comportant le terme « Retz » : Théâtre « Caba’Retz » à Fresnay-en-Retz (localité qui se partage avec Saint-Cyr-en-Retz et Bourgneuf-en-Retz l’appellation de Villeneuve-en-Retz), Crêperie « Retz-Galettes » à Machecoul, restaurant « Crêpe D’O Retz », « Retz-Modélisme » à La Marne, traiteur « Retz-passion » à Pornic, « Lycée du Pays de Retz » à Pornic …

igure 1 : La « presqu’ile » du Pays de Retz, petit pays entouré d’eau (carte tirée de l’ouvrage « Eau et patrimoine en Pays de Retz. Collection Itinéraires du patrimoine (2000)

igure 1 : La « presqu’ile » du Pays de Retz, petit pays entouré d’eau (carte tirée de l’ouvrage « Eau et patrimoine en Pays de Retz. Collection Itinéraires du patrimoine (2000)

« Mémé » (Sylvaine Billot de Chauvé), la correspondante de notre association Aneit dans les années 80 (voir Partie I), qui faisait preuve d’une conscience bretonne très pointue, terminait toujours ses lettres qu’elle m’adressait dans la Région Parisienne par « Bonjour oux Beurtons de Paris », est décédée en 1995. Ayant pu la rencontrer à plusieurs reprises au début des années 90 après mon installation dans le Pays de Retz (voir Partie I), je me souviens encore d’une de ses réflexions (dans la maison de retraite où elle a terminé sa vie) où, critiquant le découpage administratif qui avait séparé odieusement le Pays Nantais et son Pays de Retz de la Bretagne : « Je sais bien que je ne devrais pas dire ça. Mais pour moi, le Pays de Retz, c’est la Bretagne ! ».

« Mémé » m’a envoyé un jour (au début des années 80) la carte de Loire Atlantique extraite du calendrier des PTT avec la délimitation sur carte de ce qui était pour elle le Pays de Retz, donc la Bretagne. Sa carte d’une cinquantaine de communes, incluait Bouguenais et Rezé (l’ancienne capitale de la tribu Gauloise des Ratiates, qui a donné son nom au Pays de Retz). Et pour Mémé, il était clair que Bouin (l’ancienne « Ile de Bouin ») était aussi inclus dans le Pays de Retz. Même constatation pour Eloi Guitteny (« Les lieux dits du Pays de Retz, 1972, Nouvelle Maison de l’Histoire, La Bernerie en Retz) : 50 communes avec Bouguenais et Rezé et, parmi les Marches de Bretagne Bouin. Il est vrai que Bouin a été jusqu’à la Révolution géré conjointement par la Bretagne et le Poitou. Les 2 plus grands bâtiments du Bourg de Bouin, sont d’ailleurs celui des Sénéchaux représentants du Duc de Bretagne et l’autre celui des Sénéchaux représentant le Comte de Poitou.


Centre du bourg de Bouin

Hôtel des Sénéchaux de Bretagne

Hôtel des Sénéchaux de Bretagne

Hôtel des Sénéchaux du Poitou

Hôtel des Sénéchaux du Poitou

Le Marais Breton (issu du comblement de la « Baie de Bretagne », appelée maintenant « Baie de Bourgneuf ») est le nom historiquement exact pour la partie Nord située essentiellement dans le département de la Loire Atlantique donc en Bretagne, comme pour la partie Sud, située dans le département de la Vendée donc dans le Poitou historique. Nous verrons (Partie IV-B) que le parler du Nord du Marais Breton (y compris Bouin et Bois de Cené peut se rattacher sans ambiguïté à celui du Pays de Retz, au contraire du parler du Sud du Marais Breton qui se rattache au Poitevin.

  1. Le parler du Pays de Retz ?

Dans le Pays de Retz est parlée une langue originale dont on peut trouver les descriptions les plus complètes dans l’œuvre d’Eloi Guitteny de Saint Hilaire de Chaléons (« Le vieux langage du Pays de Retz », réédition Siloë, 2000 ; « Chroniques inédites d’un vieux paydret », Geste éditions, 1991) et dans l’œuvre de Sylvaine Billot (écrivaine de Chauvé à la conscience bretonne affirmée : « Le patois de Mémé » (éditions du Pays de Retz, 1978) et bon nombre de contes publiés dans le Courrier de Paimboeuf dans les années 80). On peut trouver description de parlers du Pays de Retz sous forme très stricte et très précise dans un court texte de Gérard Batard de Sainte-Pazanne, présenté dans « Le musée de ma mémoire. Le ressenti d’une enfance au Pays de Retz » (éditions Castel, 1995). Ou dans un abondant lexique du parler du Clion par M. Baconnais « Pays de Retz. Le patois de mon enfance » Nouvelle Maison de l’Histoire (2019) On s’abstiendra de chercher « L’odyssée d’Aristide » d’Albert Blanchard qui n’est qu’une triste fumisterie pseudo patoisante sans aucun rapport avec le véritable parler du Pays de Retz. Quant aux écrits de (ou présentés par) Gilles Perraudeau, sous l’appellation de « textes en parler du Pays de Retz », malgré leur grand intérêt linguistique, on fera attention à se rendre compte qu’ils ne représentent qu’une très faible partie du domaine. L’origine géographique extrême Sud ne permet donc pas de justifier le nom de « Parler du Pays de Retz » (voir Partie IV-B).

Sans anticiper trop : le parler du Pays de Retz est un parler d’Oïl central (comme le Gallo du Nord Bretagne), c’est-à-dire nettement en dessous de la ligne Joret qui sépare ces parlers des parlers normands et picards plus nord (Partie II-A). Il s’agit d’une forme de l‘aboutissement de la transition Est-Ouest (comme le Gallo Nord Bretagne) des parlers d’Oïl d’Ile de France, Beauceron, Percheron, Manceau-Angevin (voir Partie II-A). Mais ce parler est en même temps en transition vers le Sud (déjà en tant que partie prenante de l’ensemble des parlers Nantais qui est déjà lui-même un parler de transition à partir du Gallo Nord Bretagne) vers le Poitevin. Et ce mouvement vers le Sud est aussi organisé vers des parlers encore plus méridionaux d’Oc, en particulier le Limousin (Partie IV-B). Oui, sans aucune honte (et plutôt avec la fierté de l’enrichissement), le Parler du Pays de Retz est, comme le parler de Loire atlantique, un parler de transition entre le Gallo et le Poitevin. Mais le parler du Pays de Retz est-il à proprement parler un des parlers gallo ou un parler déjà poitevin ? C’est ce que nous verrons dans la Partie V après une analyse des similitudes ou des convergences (Partie III) entre ce parler et le Gallo considéré actuellement comme « standard » (voir Partie II-A) et de ses divergences (Parties IV-A et IV-B).

A- D’où vient le rejet du parler du Pays de Retz du domaine Gallo ?

Dans les souvenirs de mes années 80 d’activité à DPLO (voir la Partie I), il n’y avait guère de compétition entre, d’une part la Bretagne (et le Gallo), et, d’autre part, le Poitou (et le Poitevin ou le « Vendéen ») vis-à-vis de l’identité du parler du Pays de Retz. Il est vrai que cette langue était encore bien vivante et qu’il suffisait de demander à un locuteur natif son avis sur la question, par exemple Sylvaine Billot (voir plus haut). Mais la situation n’est plus la même maintenant.

La situation s’est durcie dès le début des années 90 avec une suite d’articles (1991, 1996, 1997, 1999) basés sur une argumentation du double domaine de l’ethnographie et de la linguistique-dialectologie. Ces articles basés, comme on le verra sur des méthodes totalement dépourvues de rigueur scientifique, ont engendré depuis le début des années 2000, sous couvert universitaire, un rejet décisif du parler du Pays de Retz du domaine Gallo et donc Breton dont on voit la démonstration quotidienne sur les réseaux sociaux.

Nous allons voir le développement de l’argumentation d’abord dans le domaine linguistique puis en second lieu dans le domaine ethnographique.

  1. En termes d’arguments linguistiques

En termes d’arguments linguistiques, le rejet a été apporté en 2 articles :

1991 Article de linguistique de Pierre Gauthier (linguiste de l’Université de Nantes) « Le Pays de Retz et son parler » dans le recueil de chroniques de Eloi Guitteny « Chroniques inédites d’un vieux paydret » aux éditions poitevines « Geste Editions ».1994

Publication 6 - Le parler du Pays de Retz peut-il être considéré comme du gallo ? Thierry Magot - Partie II-B Le parler du Pays de Retz

Peu après, entre autres, l’arrivée de Philippe Blanchet à l’université de Rennes, lancement d’un programme de recherches « Pratiques linguistiques et sentiments d’appartenance aux frontières de la Bretagne romane ». Co-responsables P. Blanchet et F. Manzano. P. Blanchet est responsable des enquêtes sur le Pays de Retz, zone frontière entre Bretagne et Poitou.

1996 La participation linguistique de P. Blanchet a uniquement consisté en une partie d’un article « Problématique de la situation ethnolinguistique du Pays de Retz (Loire Atlantique) : pratiques linguistiques et identité en zone de marches » in « Langues et parlers de l’Ouest » Cahiers de Sociolinguistiques n°1, Presses Universitaires de Rennes.

http://projetbabel.org/document/retz_pays_ethnolinguistique_blanchet.pdf

La seconde partie de l’article est consacrée aux aspects ethnographiques (voir plus loin).

Je suis doublement indigné par l’ensemble de ce travail : en tant que témoin Gallo et en tant que scientifique. Dans la discipline scientifique qui est la mienne (la Biologie au sens large), publier un article qui puisse être pris en considération par les autres chercheurs et donc passer à la postérité dans le domaine scientifique demande de s’adresser à une revue scientifique reconnue. Dans toutes les disciplines scientifiques sur lesquelles j’ai travaillé en 40 ans de carrière, ces revues sont même soumises à une notation internationale. Pour publication, les articles candidats sont soumis (de façon anonyme) à une relecture critique par d’autres chercheurs considérés comme compétents dans le domaine. Pour mes articles j’ai été tenu de jouer ce jeu en tant qu’auteur et j’ai également joué ce jeu en tant que relecteur (« reviewer ») pour un grand nombre d’articles de ma discipline. Il apparait clairement que les publications qui nous intéressent ici n’ont pas été soumise à de telles procédés critiques et publiés dans des ouvrages de complaisance (des revues animées par les auteurs eux-mêmes, par exemple). Il est donc indispensable d’effectuer une lecture critique avant de prendre en compte les conclusions de tels articles.

D’autre part, il faut savoir qu’un grand nombre de données brutes ont été obtenues depuis longtemps par des méthodes de linguistique scientifique de terrain sur les parlers d’Oïl de l’Ouest de la France dont le parler du Pays de Retz et les parlers contigus (Vendée et Pays Nantais). Tout au long du dernier siècle, ont été constitués de nombreuses enquêtes et Atlas Linguistiques, en particulier pour la zone de Marche Bretagne-Poitou qui nous intéresse. Ce prodigieux fonds de données et d’analyse de ces données est fourni dans la Bibliographie de la Partie Introduction de cet exposé et apparait pour les plus précieux d’entre eux à la fin de la présente partie) Dans les études que nous allons étudier ici, cette précieuse source n’a pas été exploitée. C’est donc ce que devrons donc faire dans cet exposé.

  1. L’Article de Pierre Gauthier (1991)

En 1991 est donc publié, accompagnant les « Chroniques inédites d’un vieux paydret » d’Eloi Guitteny un article de Pierre Gauthier « Le Pays de Retz et son parler ». Cet article présente les points communs entre le parler du Pays de Retz et le Gallo, ceux communs entre ce parler et le Poitevin et ceux communs à l’ensemble des parlers d’Oïl de l’Ouest. Le gros problème dans cette étude est que pour représenter le parler du Pays de Retz est seulement étudié celui d’Eloi Guitteny à partir des textes de ses chroniques (et peut-être aussi de son livre « Le langage du Pays de Retz », mais celui-ci n’est même pas cité). Pour représenter le Poitevin aucune référence n’est citée, mais P. Gauthier étant éminent poitevinophone (auteur d’une « Grammaire du Poitevin », Geste édition, 1993), on peut penser qu’il fait appel à un Poitevin standard, sans besoin de référence particulière. Pour représenter le Gallo aucune référence n’est citée, mais certains détails vont nous pousser à croire qu’aucune référence sérieuse n’a même été utilisée (mais à cette époque aucun dictionnaire ni grammaire complète n’avait été encore publiée sur l’ensemble des parlers Gallo et les parlers de Loire Atlantique n’avaient pas encore été investigués), restons-en donc à un Gallo du Nord considéré comme standard. Quant aux parlers de l’Ouest, les sources ne sont pas citées, ni même d’ailleurs les langues en question ! Son approche est surprenante par l’absence de rigueur de l’approche démunie de tout caractère scientifique (bien que non linguiste, je me permets de juger de l’absence de rigueur scientifique à la suite d’une carrière d’enseignant chercheur en Physiologie Animale et Nutrition Humaine, voir Partie I). Si nous avions dû faire, par exemple, une comparaison des caractéristiques biologiques associées au risque cardiovasculaire (la cholestérolémie, la glycémie, la triglycéridémie, la tension artérielle, le poids ….) entre la population du Pays de Retz et celle de la Haute Bretagne ou celle du Poitou, il est évident que si notre article n’avait utilisé qu’une comparaison de ces caractéristiques chez une personne, même respectée de Saint Hilaire de Chaléons (commune d’E. Guitteny), à une moyenne de ces caractéristiques pour un laboratoire de Loudéac (Haute-Bretagne), un laboratoire de Nogent le Rotrou (Perche) et un laboratoire de La Roche sur Yon (Poitou), notre article aurait eu bien peu de chance d’être pris au sérieux par une revue de notoriété indiscutable.

Quoi qu’il en soit, P. Gauthier recherche donc dans le texte d’E. Guitteny les particularités communes à l’ensemble des dialectes de l’Ouest (et ayant, pour certaines, disparu au Nord de la Loire), les traits communs avec le Poitevin et éventuellement avec le « Maraichin » sous-dialecte du Poitevin parlé dans la partie vendéenne du Marais Breton, ceux communs avec « les parlers de la Bretagne septentrionale et centrale » = le Gallo (mais sans se préoccuper des parlers de Loire Atlantique) et enfin ceux spécifiques au parler du Pays de Retz (observés chez E. Guitteny).

La comparaison de ces données sans références a donc été effectuée mais arrivent donc d’autres problèmes :

  • Dans sa connaissance du parler du Pays de Retz à partir uniquement de celui d’Eloi Guitteny, P. Gautier oublie l’existence de diversité interne du parler du Pays de Retz. Ainsi la terminaison de la 3ème personne du pluriel de l’imparfait en « iont » n’est représentative que de la moitié sud du Pays de Retz, car S. Billot de Chauvé (voir plus haut) la présente en « â », comme d’ailleurs dans d’autres parties du domaine Gallo (voir Partie IV-A)

  • Dans sa comparaison entre le parler d’Eloi Guitteny et le Gallo, P. Gauthier ignore totalement, avec son utilisation d’un Gallo « moyen », la diversité interne du Gallo. Ainsi dans sa confrontation pour l’article partitif « du » entre le parler du Pays de Retz et le Gallo « standard » il oublie ainsi que sporadiquement la forme « do » ou « dou » plus archaïque est retrouvée dans différents dialectes du Gallo du Nord-Loire (voir Partie IV-A). Il en est de même, parmi d’autres exemples, pour l’évolution des « o » latins en « o » et non en « ou » (en Gallo « standard ») sporadiquement obtenue dans différents parlers Gallo du Nord-Loire (que nous étudierons dans la Partie IV-A). D’autre part P. Gauthier, dans son choix limité de Gallo « standard », exclut systématiquement les formes spécifiques de Loire atlantique, qui représentent pourtant un bon tiers du domaine Gallo. Ainsi, l’auteur de l’article critiqué, considère comme non-Gallo des formes comme l’évolution de « -el » latin en « -èo » trouvées en Pays de Retz et classiques dans les parlers nantais (Partie IV-B). De même la forme en « ou » issue d’un « o » latin suivie par un « s » (exemple dans l’adjectif « gros ») est considérée comme non-Gallo alors qu’elle est systématique en Gallo de tout le Pays nantais.

  • Enfin, dans sa connaissance imparfaite du Gallo, P. Gauthier, frôlant le ridicule, considère que le mot « tertos » (tous) est un point commun au parler du Pays de Retz et au Poitevin mais pas au Gallo, alors que nous avons bien vu (Partie I) qu’il est présent dans le Gallo tant du Goëlo que du Vendelais, et qu’on le retrouve d’ailleurs dans bien des autres langues d’Oïl, jusqu’au Picard. De même, le mot « caté » (avec) serait pour P. Gauthier une spécificité du Pays de Retz alors qu’il est emblématique pour toutes les formes du Gallo (Partie III). Par contre, P. Gauthier ne s’intéresse pas à une caractéristique pourtant emblématique du Poitevin (par rapport aux langues d’Oïl de l’Ouest et du Gallo), à savoir la première personne sujet singulier : « i » en Poitevin et « je » dans toutes les autres langues d’Oïl (voir Partie I et Partie IV-B)

La conclusion de P. Gauthier, assez évasive, est que « le parler du Pays de Retz doit être considéré comme de type mixte Poitevin, Gallo et dialectes de l’Ouest. Les liens avec le Poitou et l’absence de frontières naturelles avec celui-ci expliquent une certaine communauté linguistique »

  1. L’article de Philippe Blanchet (1996) dans sa partie « linguistique »

Dans cette partie linguistique, P. Blanchet, affiché pourtant comme « linguiste de terrain » (voir son livre (« La linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche ethnosociolinguistique de la complexité » Presses Universitaires de Rennes, 2012) ne fait que reprendre intégralement sans aucune critique les données de P. Gauthier en n’y apportant qu’une méthode de « quantification » des résultats, dite de « dialectométrie ». A la fin de l’article, P. Blanchet fournit plusieurs documents en rapport avec l’analyse linguistique :

  • Le premier document concerne une carte du Pays de Retz avec les 7 points d’enquête des 3 Atlas linguistiques, l’ALBRAM, l’ALO et l’ALF (voir Bibliographie) mais P. Blanchet rejette l’intérêt de leur utilisation avec un simple commentaire : « Il y a bien sûr les atlas linguistiques, mais du point de vue de la micro-comparaison lexicologique, au niveau de forte proximité qui est la nôtre, ceux-ci ne sont pas suffisamment fiables ». Pourtant, JP Chauveau avait publié en 1984 et 1989, 2 importants ouvrages sur l’analyse de l’ALBRAM sur l’ensemble de la Haute Bretagne dont la Loire Atlantique et le Pays de Retz (voir Bibliographie).

  • Le deuxième document concerne un texte censé être rédigé en patois du Pays de Retz. Il s’agit en réalité d’un texte parodique pour ridiculiser le parler du Pays de Retz par un notable maire de Saint Mars de Coutais, commune où (on l’apprend par le deuxième article de 1997) P. Blanchet possède sa résidence secondaire. Tout l’article est basé sur une prononciation de certaines terminaisons en « ay », fréquentes dans le Pays de Retz (voir la Partie IV-A), mais dont la présence ici est favorisée à l’excès (en l’écrivant « aille »), pour amplifier le côté comique. Par contre, on voit que le texte ne rend pas du tout compte de la spécificité lexicale du parler du Pays de Retz. Par exemple dès la première phrase, le texte ignore le mot emblématique du Pays de Retz (et de tout le sud des langues romanes d’Europe), c’est à dire le mot « jao » (remplacé ici par le mot français « coq », inutilisé en parler du Pays de Retz, comme dans l’ensemble de la Loire Atlantique). Voir la partie IV-B

  • Le troisième document est complètement étranger au propos : une vieille carte postale montrant un couple de maraichin en costume local associé à un dialogue en patois. Mais le titre indique que la localisation est le Marais de Challans en Vendée (à une trentaine de km de Machecoul et du Pays de Retz). Et le dialogue est rédigé dans un Poitevin sans aucun rapport avec le Parler du Pays de Retz (en particulier avec le « i » pronom personnel sujet S1 emblématique du Poitevin en opposition aux « je » des autres langues d’Oïl (Partie I) et étranger au Parler de la quasi-totalité du Pays de Retz (voir Partie IV-B)

La conclusion de P. Blanchet (concernant donc l’exploitation des données de l’article de P. Gauthier) est la suivante :

  • (1) « Les parlers poitevins constituent un ensemble nettement individualisé à l’intérieur du domaine d’Oïl et notamment de l’Ouest, et ceci 2 fois plus que le Gallo. Ils annoncent progressivement le domaine d’Oc avec lesquels ils sont en contact ».

  • (2) « Les parlers du Pays de Retz sont mieux individualisés que les parlers Gallo, mais moins que les parlers poitevins. Les traits supplémentaires des parlers du Pays de Retz par rapport aux parlers Gallo sont communs avec les parlers poitevins ».

  • (3) « Le parler du Pays de Retz, manifestement transitionnel entre Gallo et Poitevin, est presque 3 fois plus proche du Poitevin que du Gallo (…) et même, si on tient compte de l’individualisation du Poitevin ou du Gallo par rapport à l’Oïl de l’Ouest, 6 fois plus proche ».

Les 2 premiers points sont une simple illustration de la constatation que les parlers sont des langues de transition (voir présentation de cette notion de transition dans la Partie II-A) :

  • Transition Est/Ouest (T1 et T2) pour le Gallo par rapport aux « langues d’Oïl de l’Ouest » (voir Partie II-A),

  • Transition Nord/Sud (T3) pour le Gallo Nord, le parler du Pays de Retz, le Poitevin et les langues d’Oc et même langues romanes encore plus méridionales (Partie IV-B). Les parlers Nantais sont cependant ignorés dans cette transition (alors qu’ils en font partie prenante, voir Partie IV-B) à cause de l’absence complète de données sur les parlers de Loire Atlantique dans l’article de P. Gauthier.

Ainsi :

Les transitions TI et T2 expliquent que le Gallo est moins individualisé des autres langues d’Oïl, par leur organisation en véritable continuum, que le Poitevin (voir figure 5 de la Partie II-A).

La transition T3 explique que l’acquisition de traits distincts du Pays de Retz par rapport au Gallo « standard » (traits originaux par rapport au Français remplaçant des traits sans originalité) se fait progressivement à partir de traits qu’on pourrait qualifier de « Poitevins » à une petite échelle mais finalement également observés dans les parlers beaucoup plus méridionaux (voir Partie IV-B). Pour certains de ces points (toujours Partie IV-B), les parlers Nantais s’inscrivent tout à fait dans cette logique de transition T3.

Le 3ème point de nature quantitative ne présente aucune significabilité, compte tenu de l’absence de rigueur scientifique du choix des données dans l’article de P. Gauthier (1991) (entre autres non prise en compte des parlers Nantais).

2-En terme d’arguments « ethnographiques »

Tournons-nous donc maintenant vers la partie ethnographique l’article de Philippe Blanchet « Problématique de la situation ethnolinguistique du Pays de Retz : pratiques linguistiques et identité en zone de marches » (1996) analysé plus haut dans la partie linguistique.

Cet article présente seulement les résultats préliminaires sans explication sur les méthodes précises utilisées dans cette partie ethnographique. Celles-ci seront publiées un an plus tard (1997) P. Blanchet « Pratiques linguistiques et sentiments d’appartenance dans le Pays de Retz : résultats d’enquêtes » in « Vitalité des parlers de l’Ouest et du Canada francophone » Cahiers de Sociolinguistiques n°2-3, Presses Universitaires de Rennes. Intéressons-nous-y tout de suite avant toute analyse critique des résultats.

Une étude réalisée pour vérifier une hypothèse : « Le Pays de Retz constitue une entité particulière, intermédiaire entre la Bretagne gallo et le Poitou vendéen, n’étant au fond partie ni de l’une, ni de l’autre, mais penchant plutôt vers le Poitou que vers la Bretagne ».

  1. Méthodes de la double étude :

Etude 1 sur l’identité du Pays de Retz :

100 questionnaires envoyés à des notables du Pays de Retz. 13 réponses obtenues.

Etude 2 sur le Patois à Saint-Mars-de-Coutais

Questionnaire envoyés aux 650 foyers de la commune. 9 réponses auxquelles s’ajoutent 2 résultats d’entretien direct.

Critique immédiate sur les conditions des études :

  • Compte tenu du très faible nombre de réponses aux questionnaires, les réponses sont-elles représentatives de la réalité ?

  • Le montage d’une étude sur une hypothèse préétablie (on est loin des études « en double aveugle » des études en Biologie), des conditions déontologiques douteuses (la commune de l’étude, Saint Mars de Coutais, est le lieu de résidence secondaire de P. Blanchet, la sélection des sujets de l’enquête est loin d’être neutre).

On est ainsi très loin des conditions véritablement scientifiques vantées dans le livre de P. Blanchet (voir plus haut) sur les études ethnosociolinguistiques.

Une telle étude aurait pu avoir un intérêt ethnographique si on pouvait accorder, de par le nombre de réponses, une quelconque significabilité aux résultats. Un intérêt aussi si P. Blanchet avait vérifié le bien-fondé des données fournies sur le sujet par les quelques informateurs. Comme on le verra aucune de ces 2 conditions n’est établie. Et le résultat est un cumul de jugements insignifiants sur un Pays de Retz et une Bretagne de cartes postales, digne d’un mauvais rapport de stage de BTS en Tourisme (réalisé à l’Office de Tourisme de Machecoul, par exemple) qui n’aurait relevé que des affirmations gratuites et mal documentées sur une petite dizaine de points indépendants considérés par P. Blanchet comme discriminants entre Bretagne et Poitou.

  1. Résultats de l’étude

En jaune et en italiques, les paragraphes explicatifs de P. Blanchet, suivis de mes commentaires.

  • La représentation du paydret et de son histoire au cinéma de Machecoul

« L’image usuelle du Vendéen ou de l’habitant du Pays de Retz, certes stéréotypée mais significative, est celle du paysan en pantalon bouffant, sabots, portant le chapeau local et brandissant une faux emmanchée à l’envers. On la retrouve sur les enseignes de nombreuses boutiques. La salle de cinéma de Machecoul, capitale du pays, est aujourd’hui entièrement ornée d’une grande frise, représentant les moments principaux au Pays de Retz des guerres dites « de Vendée ».

L’image de l’habitant du pays de Retz décrite ici, est aussi bien celle d’un paysan vendéen que celle d’un paysan breton engagé dans les guerres de la Chouannerie. Le terme de « Vendée » attribué aux guerres citées par P. Blanchet n’a aucune relation directe avec la région du Bas-Poitou qu’on appelle depuis la Révolution « La Vendée ». Le nom a été créé de toute pièce comme beaucoup de départements à la Révolution d’après le simple nom d’une petite rivière (ici la rivière « Vendée »). Ces guerres dites de « Vendée » ont eu lieu à la jonction des régions de la Bretagne (dont le Sud du Pays de Retz, ainsi que le Pays du Vignoble Nantais), du Poitou (dont le Nord de l’actuel département de Vendée, mais pas le Sud, pourtant tout autant partie prenante du Bas-Poitou) et de l'Anjou (les Mauges, Sud angevin). On est donc bien loin de la situation suggérée ici par B. Blanchet selon laquelle le Pays de Retz se serait rallié à un mouvement insurrectionnel « vendéen », c’est-à-dire du Bas-Poitou.

La salle de cinéma de Machecoul (que l’auteur de l’article aurait bien fait de visiter avant sa rédaction (Distance Machecoul Cinéma- Saint Mars de Coutais résidence secondaire de P. Blanchet : 20 km) est bien décorée d’une très originale frise sur l’histoire du pays de Retz. Sur le livre d’E Leduc qui présente cette frise dans sa totalité (« La fresque Pavageau. Mille ans d'histoire de Machecoul », E. Leduc, éditions Machecoul Histoire, 2017) on peut voir que sur les 27 peintures relatant l’histoire du Pays de Retz en Bretagne de 950 (construction du château de Machecoul) à 1892 (construction des halles de Machecoul), 5 seulement sont consacrées aux « Guerres de Vendée » (les peintures n° 19 à 23), luttes contrerévolutionnaires ». La peinture médiane (n°12) de l’année 1490, représente Anne de Bretagne en lutte contre la royauté française.

« La fresque Pavageau. Mille ans d'histoire de Machecoul »

A gauche : couverture du livre A droite : « Anne de Bretagne en lutte contre la royauté française »

Figure 2 : La fresque Pavageau (Machecoul)
Figure 2 : La fresque Pavageau (Machecoul)

Figure 2 : La fresque Pavageau (Machecoul)

  • L’architecture domestique

« L’architecture domestique est beaucoup plus proche de l’architecture poitevine que bretonne. La limite des toitures à tuile romane est nettement marquée par la Loire. Au Nord, l’ardoise l’emporte largement (…). Au Sud les maisons sont très basses et recouvertes de tuiles romanes de couleur brique ».

Ce n’est pas l’architecture (et encore moins les matériaux utilisés, qui forme l’identité d’un pays). Dans la carte des couvertures que P. Blanchet cite (A. Fierro-Domenec, « Le pré carré, géographie historique de la France », ed. Laffont, 1986, carte Figure 3), les tuiles rondes (appelées suivant les régions tuiles canal, tuiles romane ou tuiles tige de botte) qui caractérisent effectivement le Pays de Retz (voir figure 4, photo de gauche) et qu’il attribue au Poitou se trouvent également dans toute la moitié Sud de la France (Gascogne, Languedoc, vallée du Rhône, Provence …), sous une forme qu’on peut appeler « maison romaine ») et pourtant ces régions ne sont pas le Poitou (voir carte Figure 3). Il n’y a donc pas d’évidence pour assimiler la couverture en tuile romane à l’identité poitevine. De même, la couverture d’ardoise fine qui caractérise le Nord de la Loire que P. Blanchet attribue à la « vraie » Bretagne, se trouvent également dans tout le Massif armoricain, breton comme non breton, Basse Normandie et Bas Maine compris (voir carte Figure 3), sans être nullement porteur exclusif de l’identité bretonne. Ainsi, pour parler d’une région que je connais bien depuis toujours à 100 km à l’Est des limites de la Bretagne, le Nord Est du Bas-Maine dont l’architecture domestique (voir photo de droite de la figure 4) est très proche de celle de l’Est de la Haute Bretagne, par exemple le Vendelais, la très faible affirmation d’une identité Mancelle, pourtant historiquement attestée, n’a jamais fait apparaitre une quelconque identité Bretonne et a même un temps flirté avec l’appellation artificielle de « Maine Normand ». Ceci montre bien que l’identité d’un peuple est lié à la conscience collective de ce peuple (son âme) qui transcende les simples caractéristiques obtenues par un observateur extérieur.


 

Figure 3 : Diversité des toitures en France
Figure 3 : Diversité des toitures en France

Figure 3 : Diversité des toitures en France

Carte extraite de « Le pré carré. Géographie historique de la France » de A. Fierro-Domenech, éditions Robert Laffont (1986). A droite, la même carte en couleur pour une meilleure lisibilité.

Figure 4 : Architecture domestique
Figure 4 : Architecture domestique

Figure 4 : Architecture domestique

A gauche : Maison d’un proche voisin dans mon village du Pays de Retz en bordure du Marais Breton à Saint-Cyr en Retz (Bretagne). J’avais présenté cette maison avec un commentaire provocateur (« Mais franchement, ça vous fait penser à une maison traditionnelle bretonne ? ») dans mon exposé de 2014 sur la question « Et le parler du Pays de Retz, c’est du Gallo ? » (voir la Partie Introduction).

A droite : Devant la ferme de Saint-Léonard des Bois dans la Sarthe (Bas-Maine) où j’ai habité chaque été en famille dans mon enfance, non loin de la maison de ma grand-mère paternelle (Partie I) : l’auteur de ces lignes sur Bayard, le cheval de la ferme (il y a plus de 70 ans).

« Dans le marais breton vendéen à partir de Machecoul, on rencontre des « bourrines », au toit de chaume, fréquente dans tous les marais du Poitou ».

Quant aux toits de chaume du Marais Breton (en réalité, il s’agit de toits de roseaux) que P. Blanchet identifie aux marais du Poitou, il ignore que de l’autre côté de l’estuaire, en Nord-Loire, dans les marais de Brière donc clairement en Bretagne, c’est la toiture en roseaux qui est aussi la toiture traditionnelle (voir sur la carte figure 3).

  • Les vignobles et le vin

« Le pays de Retz est un pays de vin. (…) C’est là encore un élément qui rapproche le Pays de Retz d’attaches plus au Sud, et le distingue du Nord de la Loire. Car si le vin s’est désormais répandu comme boisson plus que quotidienne, on ne l’y produit aucunement. Il n’y a pas de vigne au Nord, qui est traditionnellement un pays de cidre ».

Mais la remarque fort peu scientifique de P. Blanchet sur le Nord Loire « pays de cidre exclusif » se heurte immédiatement à une anecdote tirée de mes souvenirs personnels : à la fin des années 50, j’étais allé en famille en vacances à Mesquer dans le Pays de Guérande pour découvrir un autre aspect de notre Bretagne. Mon père m’avait emmené chercher du cidre dans une ferme (ce qui constituait pour lui le summum de l’identité bretonne). Il avait été décontenancé par la réponse du fermier qui lui avait répondu sèchement, avec une certaine exagération « Du cidre ? Vous n’en trouverez pas chez moi. Ici c’est un pays de vin ! ».

Car effectivement, il y a encore quelques décennies le pays de Redon, les bords de la Rance, les presqu'îles de Rhuys et de Guérande produisaient et commercialisaient des vins, comme clairement montré dans le livre de G. Saindrenan (« La vigne et le vin en Bretagne. Chroniques des vignobles armoricains : Origines, activité, disparitions et réussites, du Finistère au Pays nantais » éditions Coop Breizh, 2011). Voir aussi la carte historique des Vignobles de Bretagne (Documentation BCD Bretagne-Culture-Diversité) https://bcd.bzh/becedia/fr/la-vigne-en-bretagne

Figure 5 Les vignobles de Bretagne
Figure 5 Les vignobles de Bretagne

Figure 5 Les vignobles de Bretagne

  • La Veuze

« La musique traditionnelle semble se situer entre Bretagne et Vendée. L’instrument propre au Pays de Retz est la veuse, sorte de biniou, dont tous les informateurs m’ont dit soit qu’il avait disparu, soit qu’il en restait un seul pratiquant, jeune militant breton. On se souvient par contre d’une berceuse pour enfant où le refrain dit « J’avons la veuse et le veusou ».

Le militant breton dont parle P. Blanchet est Roland Le Moigne, paydret « breton » car originaire du Pays de Retz et directeur du musée du Pays de Retz (à l’époque de ma participation au CA de l’association). Il s’agit d’un des co-fondateurs de l’association « Sonneurs de veuze » (en haut à gauche sur la photo Figure 6). Le territoire traditionnel de la veuze est véritablement à cheval entre la Vendée (partie vendéenne du Marais Breton) et la Bretagne (Pays de Retz dont la partie bretonne du Marais Breton et Pays de Guérande). La simple lecture de quelques très intéressants documents déjà publiés lors de la rédaction de l’article de P. Blanchet lui auraient beaucoup apporté sur la pratique de la veuze :

  • Le livre « Sonneurs de Veuze, quelques éléments sur la tradition populaire de la veuze dans le Pays nantais » (1979)

  • L’article « Redécouverte de la veuze, cornemuse de Haute Bretagne » arMen n°14 (1988)

  • Le disque « Sonneur de veuze en Bretagne » (1988) éditions du Chasse Marée et la lecture du document qui l’accompagne

P. Blanchet aurait appris que François Guérin, le dernier joueur du Pays de Retz au Moulin de l’Hopitau en St Cyr en Retz avait été au début du XXème siècle un joueur meunier érudit et bibliophile comme le montrait la description de l’intérieur de son moulin par ses proches. Le refrain de la « berceuse » (qui était d’ailleurs plutôt une petite comptine pour se moquer des enfants pleurnicheurs) citée par P. Blanchet est également connue au Pays de Coislin au Nord-Loire (A. Maillard « Le parler du Pays de Bouvron », 2009) :

« Accourez, teurtous chez nous,

J’avons la veuze (bis),

Accourez teurtous chez nous,

J’avons la veuze et le veuzou »


 

Figure 6 :  La veuze
Figure 6 :  La veuze

Figure 6 : La veuze

A gauche : L’association « Sonneurs de veuze » fin des années 70 (en haut à gauche sur la photo R. Le Moigne, sonneur, professeur de Breton et directeur du Musée du Pays de Retz à Bourgneuf en Retz)

A droite : Localisation des derniers sonneurs traditionnels de veuze dont François Guérin au Moulin de l’Hopitau à Saint-Cyr en Retz (1 km de chez moi).

  • La « Gui l’an neu »

« Parmi les pratiques apparemment locales, il faut citer notamment la « Gui l’an neu ». Il s’agit d’une vente aux enchères au profit de la paroisse un peu après le Nouvel An. Son nom est toujours donné sous la forme locale (avec « neu » et non « neuf »). Cette fête reste toujours vivante dans plusieurs communes du Pays de Retz. Cette tradition semble inconnue au Nord de la Loire en Bretagne Gallo ».

La fête citée par P. Blanchet serait une fête d’origine celtique liée au solstice d’hiver. Contrairement aux apparences, l’appellation de « Au Gui l’An Neuf » n’aurait rien à voir avec le passage d’une année donc à l’« An  neuf », ni au « Gui ». Mais pour ce qui nous intéresse ici, cette fête était traditionnelle pour l’ensemble de la France (et non pas le seul Poitou) et est toujours fêtée dans différentes régions de France, dont le Pays Gallo du Nord de la Loire, sous des noms divers « Guilaneu » « Aguilanée » ….

Figure 7 : Carte de vœux du Nouvel An de l'association Cllassiers des enseignants de Gallo pour 2022.

Figure 7 : Carte de vœux du Nouvel An de l'association Cllassiers des enseignants de Gallo pour 2022.

  • Les costumes traditionnels et les coiffes

« Les costumes traditionnels, les coiffes, aujourd’hui à peu près disparus, sont de type plutôt poitevin que breton. La coiffe féminine la plus réputée est la « quichenotte », comme dans tout le Poitou, dont la tradition locale (dans le Pays de Retz, comme dans le Poitou) explique le nom par l’étymologie populaire anglaise, « kiss not », les larges bords de la coiffe couvrant le cou et les joues, ce qui empêche d’être embrassée ».

Si la Quichenotte (figure 8) est bien la coiffe la plus réputée du Poitou, il y a ici une grave confusion : cette Quichenotte est totalement étrangère au Pays de Retz. La coiffe portée dans ce pays (figure 8) était tout à fait de l’ordre des coiffes nantaises (Nord-Loire comme Sud-Loire) sous l’appellation de « Dormeuse ». Une seule visite de P. Blanchet de la salle des coiffes du Musée du Pays de Retz aurait pu éviter cette erreur. Il en aurait été de même avec une lecture de l’ouvrage de référence « Le costume breton » de R.Y. Creston aux éditions Tchou (1974). Ou encore du livre spécialisé sur la coiffe nantaise « La dormeuse ou l'art de la coiffe nantaise » P. Masson, éditions du Pays de Retz (1979). La tradition locale du Pays de Retz ne peut pas parler de la quichenotte puisqu’elle n’y a jamais été portée en Pays de Retz. La petitesse de la coiffe du Pays de Retz (et des coiffes nantaises en général) n’est pas du tout l’apanage de la seule Bretagne Gallo Sud, car on la retrouve également plus au Nord (Pays de Redon) ou dans le Pays de Loudéac, pays de ma grand-mère, voir Partie I). Ces coiffes sont représentées sur la figure 8. Quant à sa comparaison globale des coiffes bretonnes aux coiffes poitevines, P. Blanchet confond totalement les coiffes de Haute Bretagne, et en particulier les coiffes nantaises et les coiffes de Basse-Bretagne, effectivement beaucoup plus médiatisées (dans figure 8 : les coiffes du Pays Bigouden et du Pays de Fouesnant).

 

Coiffes de Haute Bretagne Coiffe du Poitou Quichenotte

de Gauche à droite, Coiffe de Retz, Loudéac, Redon et Quichenotte du Poitou
de Gauche à droite, Coiffe de Retz, Loudéac, Redon et Quichenotte du Poitou
de Gauche à droite, Coiffe de Retz, Loudéac, Redon et Quichenotte du Poitou
de Gauche à droite, Coiffe de Retz, Loudéac, Redon et Quichenotte du Poitou

de Gauche à droite, Coiffe de Retz, Loudéac, Redon et Quichenotte du Poitou

Coiffes les plus connues de Basse Bretagne

Figure 8 : La coiffe du Pays de Retz

  • Les coiffes de Haute Bretagne (Pays de Retz, Pays de Loudéac, Pays de Redon), la Quichenotte (coiffe du Poitou) et les coiffes de Basse Bretagne les plus réputées (Pays bigouden et Pays de Fouesnant).

  • Deux ouvrages de références sur le « Costume breton » dont le Pays Nantais (RY Creston) et « La dormeuse, coiffe du Pays Nantais (P. Masson).

 

de Gauche à Droite; coiffe du pays Bigouden et de Fouesnant
de Gauche à Droite; coiffe du pays Bigouden et de Fouesnant

de Gauche à Droite; coiffe du pays Bigouden et de Fouesnant

« Le costume breton » RY Creston et  « La dormeuse, coiffe du Pays Nantais » P. Masson
« Le costume breton » RY Creston et  « La dormeuse, coiffe du Pays Nantais » P. Masson

« Le costume breton » RY Creston et « La dormeuse, coiffe du Pays Nantais » P. Masson

  • Le mythe d’Herbauges

« Il faut signaler la fonction identitaire du mythe d’Herbauges. Tous les habitants du Pays de Retz y font fréquemment référence. Ils citent le dicton local « Quand Herbauges reparaitra, Nantes disparaitra » qui éclaire bien, je crois, l’un des aspects de la problématique identitaire du Pays de Retz. Ce mythe est le suivant : Herbauges était une cité aux mœurs dissolues installée sur l’emplacement actuel du lac de GrandLieu. On y adorait divers dieux gallo-romains et l’on s’y adonnait à une orgie perpetuelle. Saint Martin, né à Nantes, voulut convertir la cité d’Herbauges. Il en fut chassé et annonça alors la destruction de la ville qui fut engloutie et le lac la recouvrit (…). On prétend encore que le soir de Noël on peut entendre les cloches d’Herbauges sonner les douze coups de minuit. Outre les reminiscences de l’épisode de Sodome, on peut voir là tout une symbolique de la construction de l’identité du Pays de Retz, par ses rapports à Nantes et à la Bretagne. Ces rapports sont conflictuels tout au long des siècles ».

La légende de la ville d’Herbauges présente une grande similitude avec celle de la ville d’Ys opposée géographiquement à la ville d’Herbauges, à savoir l’Ouest de la Bretagne. Dirigée par Dahut qui vivait en pleine luxure, la cité adorait les anciens dieux celtiques. Punie par Dieu par l’intermédiaire de Saint Gwénolé, la ville d’Ys fut engloutie par la mer. Par temps calme, les cloches de la ville peuvent être entendues en mer. La légende prévient que quand la ville d’Ys renaitra, les villes de Brest et de Quimper seront submergées. A ma connaissance, malgré une très grande abondance de publications autour de ce mythe, personne n’a encore jamais prétendu que la légende de la ville d’Ys était « une symbolique de la construction de l’identité de la Cornouaille par ses rapports à Quimper et à la Bretagne ». Mais P. Blanchet semble ignorer le mythe de la ville d’Ys.

  1. Critique générale de partie ethnographie.

Le caractère de terrain en sociolinguistique impose soit de rester totalement neutre et dans ce cas établir des bonnes conditions neutres de l’enquête et décrire les conditions de l’étude, soit d’investir préalablement dans la connaissance du sujet de chaque question. Dans le cas précis des questions et des réponses, pour éviter les clichés sur la Bretagne, le Poitou et le Pays de Retz, il s’agissait d’investir dans la lecture des ouvrages cités dans les critiques (pour la veuze, le vin, les coiffes) et d’envisager une visite du musée du Pays de Retz à Bourgneuf en Retz (les vitrines sur les coiffes) ou de la salle de cinéma de Machecoul (représentation du paydret, fresque Pavageau) pour vérifier les réponses.

  1. Conclusion générale linguistique et ethnographique

La conclusion générale de l’article de P. Blanchet qui émerge de l’ensemble de ce curieux travail composite (linguistique et ethnographique) mais bien peu rigoureux publié entre 1991 et 1997 est que « le Pays de Retz est un pays de marche entre Poitou et Bretagne, plus Poitevin que breton sur tous les plans, sauf celui de l’appartenance historique du territoire ». En particulier « le parler du Pays de Retz, manifestement transitionnel entre Gallo et Poitevin, est presque 6 fois plus proche du Poitevin que du Gallo ».

Pour enterrer définitivement le sujet, en 1999, cette conclusion est reprise dans un livre co-écrit avec Henriette Walter (linguiste de l’Université de Rennes « Dictionnaire du Français régional de Haute-Bretagne » aux éditions Bonneton. Comme son titre l’indique, le livre ne parle aucunement de langue régionale mais de Français régional, ce qui est très différent. On y trouve en effet pêle-mêle, loin d’un quelconque Gallo, les mots censés être « régionaux » comme « papi » (homme âgé), « yoyoter » (être fou), « gars » (fils), « tartine » (tranche de pain) …. Mais on y trouve aussi en fin d’ouvrage quelques « exemples de français régional et de langue régionale dans des textes », dont un très court texte d’Eloi Guitteny (extrait de ses « Chroniques d’un vieux paydret ») avec le commentaire : « La langue issue du Latin au Pays de Retz est intermédiaire entre le gallo et le poitevin dont elle est plus proche ». La référence étayant cette affirmation est l’article de P. Blanchet de 1996 (cité plus haut), mais l’article de P. Gauthier de 1991 (cité plus haut), dont l’article de P. Blanchet n’est en quelque sorte qu’un commentaire quantifié, n’est même plus référencé.

  1. Alors, que peut-on en tirer concernant la réponse à notre question-titre :

« Le parler du Pays de Retz peut-il être considéré comme du Gallo ? »

La suite d’articles étudiés ci-dessus présentant un certain nombre de vices sérieux sur les méthodes dépourvues de rigueur scientifique, autant dans le domaine linguistique que dans le domaine ethnographique, il apparait clairement que la conclusion donnée par P. Blanchet est caduque. Et ce, particulièrement à cause de l’absence de données concernant la Loire-Atlantique et l’erreur consistant à ignorer la diversité de la Haute Bretagne et de ses parlers. Il est donc nécessaire de reprendre les données linguistiques en se tournant vers des sources qui prennent en compte cette diversité. Il s’agit donc de se tourner vers les données brutes des atlas linguistiques et surtout vers les riches travaux de synthèse de ces données brutes de JP Chauveau, R. Auffray et S Jouin présentés dans la partie Bibliographie. C’est ce que nous ferons dans les parties IV-A et IV-B. Par la partie III, nous ferons précéder cette approche d’une simple comparaison des caractéristiques du parler du Pays de Retz avec les caractéristiques du Gallo « standard » préalablement défini (Partie II-A) et utilisé désormais pour les différentes publications en Gallo.


 

Bibliographie

Parler du Pays de Retz

-Eloi Guitteny « Le vieux langage du Pays de Retz » édition originale éditions Plaisance- Paimboeuf (1970), rééditions Siloë (2000); « Chroniques inédites d’un vieux paydret » (Geste éditions, 1991)

-Sylvaine Billot « Le patois de Mémé » éditions du Pays de Retz ; de nombreux contes dans Le Courrier de Paimboeuf, dont « Le Cherche-pain » (1982).

-Gérard Batard « Le musée de ma mémoire. Le ressenti d’une enfance au Pays de Retz », éditions Castel (1995)

-Madeleine Chéreau « Saint Cyr en Retz se raconte », édition et rédaction collectives (2011)

A. Blanchard « L’odyssée d’Aristide ou Les gens d’out’ fouais au Pays de Retz » aBé éditions (2021) une vaste fumisterie sans rapport avec le parler du Pays de Retz

Collège Jean Mounès de Pornic « La couésaille. A la recherche du langage du Pays de Retz » (Musée du Pays de Retz, 1982)

-Gilles Perraudeau Contes recueillis en Parler du Pays de Retz dans différentes communes de l’extrême Sud du Pays de Retz : « Contes populaires du Pays de Retz » (éditions du Pays de Retz, 1982) ; « Contes de la Voisine » (éditions Séquences, 1990) ; « Contes du Pays de Retz » (Geste édition, 2007).

-Michel Baconnais « Pays de Retz. Le Clion. Le patois de mon enfance » (2019) Bibliothèque de la Maison de l’Histoire. La Bernerie en Retz.

-Edmond Hery « Essai sur le patois de Saint Philbert. Lexique, Grammaire, Prononciation » (1968) Bibliothèque de la Maison de l’Histoire. La Bernerie en Retz.

Etudes linguistiques incluant le parler du Pays de Retz

Les données brutes ont été obtenues par des méthodes de linguistique scientifique de terrain sur les parlers d’Oïl de l’Ouest de la France dont le parler du Pays de Retz et les parlers contigus (Vendée et Pays Nantais) en particulier pour la zone de Marches Bretagne-Poitou qui nous intéresse :

-ALBRAM (« Atlas linguistique de la Bretagne romane de l’Anjou et du Maine »), dir G. Guillaume

-ALO (« Atlas linguistique de l’Ouest »), dir. G. Massignon

-PMV (« Les parlers du Marais vendéen », en réalité la zone de Marche du Marais Breton),

-ALF (Atlas linguistique de la France), J. Gillieron et E. Edmont

L’analyse des résultats de ces Atlas et enquêtes linguistiques a été largement publiée :

J.P. Chauveau « Le Gallo : une présentation » Studi n°26 (46 cartes, 1984) ; « Evolutions phonétiques en Gallo », éditions du CNRS (95 cartes, 1989) ; « La formation du vocalisme du Gallo » Cahiers de sociolinguistique (16 cartes, 2007) https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-sociolinguistique-2007-1-page-123.htm; « Evolutions vocaliques en Haute-Bretagne » Dialectologie et littérature du domaine d'oil occidental (18 cartes, 1983) file:///F:/Documents%202022/L2%20Ingrid/JP%20Chauveau.pdf

R. Auffray « Chapè Chapiao. Grammaire de Gallo », Rue des Scribes Editions (160 cartes, 2012)

S. Jouin article « Communauté et diversité en Pays Gallo » (8 cartes, 1983) https://www.persee.fr/doc/annor_0570-1600_1983_hos_15_1_3902 ; Thèse (1982) « Le parler Gallo d’Abbaretz, Loire-Atlantique » 3 tomes (« Phonétique ; Morphologie, Syntaxe ; Lexique)

G. Guillaume Lecture de l’ALBRAM « Recherches d’aires dialectales en Haute Bretagne, dans le Maine et en Anjou » in « Les dialectes romans à la lumière des atlas régionaux », CNRS (9 cartes, 1973)

Lectures de l’ALF (Atlas Linguistique de la France) et de l’ALBB (Atlas Linguistique de la Basse Bretagne), G. Brun-Trigaud, Y. Le Berre, J. Le Dû, éditions CTHS (513 cartes, 2005)

Site de dialectométrie de l’ALF :

http://dialektkarten.ch/dmviewer/alf/index.fr.html?fbclid=IwAR2ABqJiIOv3cCtqeEYAxilErgB5MG_oFRf3hRu8xYi6DEZzV6BgnDChasM

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article