Réponse à Jeannotin (publication cinq et huit ) - Thierry Magot « Le parler du Pays de Retz peut-il être considéré comme du gallo ? »
Réponse à Jeannotin sur ses commentaires des publications 5 et 8
Les commentaires étant un peu secs, il est difficile de savoir quelle est la motivation de leur édition et donc de répondre précisément à ces commentaires.
Le but général de mon travail était d’établir une réponse à la question titre « Le parler du Pays de Retz peut-il être considéré comme du Gallo ? »
D’où, concernant le Breton c’est à dire les points de commentaires des publications 5 et 8 de Jeannotin), mon propos n’était pas de démontrer l’importance (ou la faiblesse) de l’influence du Breton sur le Gallo « standard », ni de démontrer que cette influence est réelle (ou non) sur le parler du Pays de Retz, mais de répondre à une double question :
1) Quelles sont les relations classiquement reconnues (mais éventuellement fantasmées) entre Gallo « standard » et Breton ? (publication 5)
2) Ces relations sont-elles existantes dans la même mesure pour le parler du Pays de Retz ? (publication 8)
La méthode la plus classique est la « méthode étymologique » par recensement de mots d’un parler étudié (ici Gallo « standard » ou parler du Pays de Retz) qui « ressemblent » au Breton suivi de la recherche historique de l’évolution du mot dans les 2 langues comparées quand c’est possible (sachant que pour le Breton des données lexicales précises sont accessibles depuis le XVème siècle date du dictionnaire Breton-Latin-Français « Catholicon » de C. Le Gonidec) ou si cela ne l’est pas se tourner vers des langues considérées comme proches, autres langues celtiques pour le Breton et Latin ou diverses formes dialectales d’Oïl pour le Gallo. Je ne peux pas cacher ma méfiance vis-à-vis de la « méthode étymologique » trop simplifiée. En effet, il est souvent difficile, voire impossible, de prouver un lien direct entre le Breton et un quelconque parler Gallo (à part quelques très rares mots à diffusion géographique très limitée, comme « digaré » pour « excuse » dans la seule zone de contact entre Breton et Gallo) sans se poser la question sur la nature précise du lien.
La ressemblance peut en effet être phonétique (transmission de son) ou sémantique (transmission de sens). Un exemple de double transmission potentielle entre le Breton et le Gallo (dont le parler du Pays de Retz) : le nom de la « Renoncule-bouton d’or », mot qui apparait dans les publications, mais pas dans les commentaires de Jeannotin. En Breton on parle de « pav-bran » (patte de corbeau) ou « troad-kog » (pied de coq), probablement par similarité de forme. On trouve en Haute Bretagne 2 noms Gallo (y compris dans le parler du Pays de Retz) pour cette plante : « pobran » et « piécô ». Pour les défenseurs de l’influence inconditionnelle du Breton, le premier mot (« pobran ») aurait été apporté par transmission phonétique et le deuxième mot (« piécô ») par transmission sémantique avec le sens supposé de « pied de coq ». Chaque « démonstration » (phonétique ou sémantique) peut être sujette à de sévères critiques :
- La transmission phonétique peut avoir été réalisée à partir d’un mot Gaulois, autre langue celtique, qui préexistait en Bretagne comme dans le reste de la France et se serait maintenu en Gallo, comme dans d’autres langues d’Oïl de l’Ouest, voire en Français ou même dans des langues dispersées dans le monde du fait de la colonisation.
Egalement, la présence du mot dans une autre langue celtique (cornique ou Gallois) pourrait aussi signifier l’origine du Gaulois, autre langue celtique, au cours de l’abandon de cette langue lors de la romanisation de la Gaule. Dans ce cas, la présence de ce mot dans d’autres langues d’Oïl, en particulier de l’Ouest de la France, renforcerait cette hypothèse.
Il existe aussi des transmissions phonétiques directes indiscutables mais dont le succès géographique (en général spécialisé dans un domaine sémantique particulier, celui des produits de la mer par exemple pour le Breton) aboutit à une généralisation du terme. Par exemple, la diffusion du terme Breton « morgad » (lièvre de mer) sous la forme « margate » pour la seiche, ou le mot « darn » (morceau, tranche) a été diffusé jusqu’au français sous le sens de « tranche de poisson ».
Dans un souci de recherche étymologique, il est ainsi indispensable de chercher l’utilisation de ces mots (avec ou sans changement sémantique) dans les autres langues d’Oïl proches du Gallo, et même plus éloignées :
Ainsi : Normand, Mainiot, Percheron, Angevin et Poitevin (références citées dans les différentes publications de mon travail). Pour le Poitevin, étant donné la proximité géographique et linguistique avec le parler du Pays de Retz, et la suspicion légitime d’influence poitevine souvent annoncée par le Maraichin, nous avons soigné nos sources sur le Maraichin. J’ai ainsi étoffé les sources bibliographiques en me référant à des sources bibliographiques sur le parler Poitevin en général, mais aussi sur le Maraichin (parler Poitevin de la partie Vendéenne du Marais Breton) :
« Dictionnaire Poitevin-Saintongeais » V. Pivetea, Gestes éditions (2006)
« Parler Maraichin Vendéen » M. Couton, édition du Petit Pavé (2004)
« Glossaire du Patois Maraichin de Beauvoir sur mer » JC Tué, édition Book envol (2022)
Atlas linguistique « Les parlers du Marais vendéen » L.O. Svenson ed. Romanica Gothoburgensia (1959)
- La transmission sémantique (dans le cas du Breton « troad-kog » en « piécô » Gallo, vu plus haut) pourrait quelquefois n’être que pure coïncidence comme le montre l’exemple suivant : le mot « pourpier », en Français, tient son origine de « poule pied » (pied de poule, probablement par similarité de forme), devenu « poulpié, pourpié, pourpier » (en Gallo, on parle de « piépou » (« pipou » dans toutes mes sources Poitevines), sans doute passant par « piépoul » car il a donné « pipoul » en Breton (transmission phonétique). Mais de l’autre côté de la Méditerranée, en Arabe dialectal Marocain, pour cette même plante (qui présente un intérêt culinaire potager, qu’il avait autrefois dans le Pays de Retz) on dit « rjila », ce qui signifie également directement « patte de poulet » (« parce que les feuilles sont regroupées par 3 sur chaque tige » selon mon informateur marocain). L’hypothèse d’une transmission sémantique entre l’Arabe et les langues d’Oïl est évidemment à rejeter et à remplacer par une simple convergence sémantique due à la similarité de forme qui pourrait avoir lieu indépendamment d’échanges linguistiques entre peuples.
La sélection de mots « suspectés » à priori de bretonnité dans le Gallo a été précédemment réalisée principalement dans un ouvrage de C. Capelle très bien documenté et accompagné de cartes, publié en 1988, qui faisait lui-même la synthèse de plusieurs études sur le sujet, principalement basé sur l’étymologie et l’origine linguistique de ces mots, romane (latin, vieux-français), celtique (Gaulois, Breton, Ancien-Breton, Cornique, Gallois, Gaelique) : Claude Capelle « Le Gallo et les langues celtiques : recueil et commentaires des études de E. Ernault, F. Luzel, PY Sébillot, J. Loth, T. Jeusset, F. Tymen, A. Even, W. von Wartburg, L. Fleuriot et de l’ALBRAM », Etudes et Recherches Gallèses (1988)
Des informations étymologiques ont été tirées concernant le Français du « Dictionnaire étymologique de la langue française » (O. Bloch et W. von Warburg » PUF 1975), qui prend en compte beaucoup d’informations concernant les dialectes d’Oïl.
Concernant le Breton, nous nous sommes intéressés au « Dictionnaire étymologique du Breton » A. Deshayes, éditions du Chasse-Marée (2003).
Pour le Gallo « standard » nous nous sommes tournés vers le seul ouvrage qui existe actuellement, le « Dictionnaire étymologique du Gallo » M. et C. Bourel, édition Rue des Scribes (2017).
Mais, une fois constatée la ressemblance entre les formes du Breton et du Gallo, il reste clair que l’utilisation d’une méthode étymologique simplifiée ne règle donc pas définitivement la question.
Je suis en général tout à fait d’accord avec Jeannotin, ce qui est d’ailleurs évident car nous utilisons probablement les mêmes sources. C’est peut-être dans la conclusion finale (mais je ne fais que supposer les conclusions de Jeannotin qui ne les exprime pas directement) que nous différons car nous ne cherchons pas à répondre semble-t-il aux mêmes questions.
Car, une fois encore, mon propos n’était pas de démontrer l’influence du Breton sur le Gallo « standard », ni de démontrer que cette influence est réelle sur le parler du Pays de Retz, mais de répondre à une double question :
1) Quelles sont les relations classiquement reconnues (mais éventuellement fantasmées) entre Gallo « standard » et Breton ? (publication 5)
(la réponse à cette question à partir d’un certain nombre de mots-candidats avait été que ces relations étaient nettes mais de faible intensité et que les mécanismes précis, intervention du Gaulois, origine latine, transmission phonétique ou sémantique, sens de la transmission … étaient difficiles à identifier précisément, à l’exception de quelques rares exemples comme « pobran » ou « beghen »)
2) Ces relations sont-elles existantes également pour le parler du Pays de Retz ? (publication 8)
(la réponse à cette question avait été que l’intensité de ces relations étaient similaire pour le parler du Pays de Retz que pour le Gallo « standard », y compris pour les exemples considérés comme forts au sujet de l’influence du Breton)
Après cette introduction un peu longue, parcourons les 6 points cités dans les remarques :
- « Pacré »
Jeannotin : Pacré est du français de l'ouest attesté à Alençon et à Vendôme et passé en breton
https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/lire/e/186811
Je suis entièrement d’accord avec Jeannotin, le mot « pacré » est trouvé en Gallo « standard » comme en Pays de Retz mais aussi dans différentes langues d’Oïl (Poitevin, Mainiot, Percheron…), comme en Breton et avec le même sens. C’est ce que nous signalions dans la publication 5 en parlant des mots « heude », « pacré » « canté » et « cuter » :
« Ces mots pourraient provenir du Breton, mais sont trouvés aussi sporadiquement dans d’autres langues d’Oïl, par exemple en Percheron pour « heude » « pacré », « canté » et « cuter »
« Dans ce contexte de perméabilité de nos langues d’Oïl d’Ouest en Est, il ne faudra pas s’étonner de trouver des expressions strictement identiques entre 2 parlers impliqués géographiquement opposés dans cette transition comme le Gallo et le Percheron : « C’est-ti que tu veux jouer à cute asteure ? » (Est-ce que tu veux jouer maintenant à cachecache ?) ; « Eyou don qu’tu vas ? », « J’va cez ma mére pour assayer de me défuter », « Viens t’en don putout canté-mé » (où vas-tu ? Je vais chez ma mère pour essayer de me distraire. Viens donc plutôt avec moi) ; « L’efant-la, c’est son pére tout pacré » (cet enfant, c’est son père parfaitement ressemblant) ».
« pacré » est donc (quelle que soit son origine) présent dans la plupart des langues d’Oïl de l’Ouest (et en Breton) mais a été abandonné par le Français.
- « Beghen »
Jeannotin Le mot qui apparaît au point 467 (Chéméré) de la carte 1371 de l'ALF est ver et non beghen
La recherche systématique de point dissident dans l’ALF ne me semble pas pertinente, car tributaire de la faiblesse évidente du maillage, dans la mesure où l’ALBRAM présente un maillage plus serré et est cohérente sur ce mot (voir la carte de la publication 8). Je remets ci-dessous le commentaire que je faisais sur cette carte et sur le mot « beghen/bighen » dans le Pays de Retz :
« Beghen, Bighen, Bughen » équivalent Gallo du Breton « Buzhugenn » (ver de terre, lombric), sous sa prononciation Vannetaise « buhugenn ». On voit d’ailleurs dans la carte qui suit, tirée de l’atlas ALBRAM, que sa prononciation en « bughen » est en continuité avec la forme vannetaise, et que cette forme n’existe pas ou de façon plus sporadique en Gallo du Nord (remplacée par des formes en « ver », mais la forme « beghen » était connue dans les parlers du Goëlo de mon enfance) ce qui serait cohérent avec son origine vannetaise. Grâce à la deuxième carte tirée de l’atlas ALF, on voit aussi que ce terme « Beghen » est absent du Mainiot, de l’Angevin et du Poitevin (et remplacé sous des formes « achée, lachet, èche), mais bien présent en Pays de Retz. Le mot s’arrête brusquement à la frontière séparant le Pays de Retz du Poitou : mot emblématique d’une grande vitalité au Pays de Retz où il est associé à une méthode de pêche dite « à la biguenée » (avec comme appât une pelote de lombrics), il est brusquement remplacé par le mot « achè » dès le passage dans la partie vendéenne du Marais Breton (à Beauvoir-sur-mer, d’après la carte de l’ALF ci-dessous, comme dans la carte de l’Atlas linguistique « Les parlers du Marais vendéen » de L.O. Svenson (1959) et le lexique de Beauvoir JC Tué. Voir Bibliographie de la partie Introduction. »
Je complète pour la délimitation précise de l’opposition « bighen » / « achet » entre le parler du Pays de Retz et le Poitevin de Vendée que le mot « biguenée » correspond curieusement (ou significativement) dans tous les lexiques ou dictionnaires cités plus haut (Pivetea, Couton, Tué, Svenson) à un brusque changement de signification du mot : nom d’une « méthode emblématique de pêche en utilisant des lombrics » en Pays de Retz et « crêpe emblématique de la cuisine Vendéenne ou Poitevine » de froment additionnée de lard (https://fr.wiktionary.org/wiki/biguen%C3%A9e)
Le mot « beghen/bughen/bighen est donc vraisemblablement un nom originaire du Breton et qui a subi une transmission phonétique à partir du Breton Vannetais sur l’ensemble des parlers Gallo, sans diffuser à l’extérieur de la Haute Bretagne (Mainiot, Angevin, Poitevin).
[un second mot, dont il n’a pas été question dans les commentaires, qui est dans une situation similaire, est le mot « pobran » qui a subi également de façon évidente une transmission phonétique du Breton vers le Gallo, de plus faible envergure dans la mesure où elle s’est uniquement diffusée vers le Sud, jusqu’au Pays de Retz. Sa concurrence par « piécô » d’origine incertaine, par convergence sémantique a peut-être limité son expansion]
- « Canté »
Jeannotin : Canté est attesté en Normandie
Nous avons effectivement déjà signalé dans la publication 5 (en même temps que pour « pacré », voir ci-dessus) que « canté » était retrouvé quand d’autres langues d’Oïl (Mainiot, Poitevin et particulièrement le Percheron pour lequel nous avons des sources très sûres), sous différentes écritures (qqfs « quant et ») dans le même sens « avec » (accompagnement) : « Viens t’en don putout canté-mé ». Les « étymologistes » le présentent comme équivalent possible du Breton actuel « gant » (vieux Breton « cant ») mais qui aurait été précédé d’un Gaulois tardif « kante », également cité dans notre texte dans la publication 8. En terme d’origine, le mot pourrait alors être d’origine celtique (Gaulois) transmis (ou commun) au Breton, transmis aux langues d’Oïl, puis abandonné par le Français.
- « Greq »
Jeannotin : Grèg "cafetière" est le français grègue "haut de chausse" puis "cafetière à filtre", une forme ancienne du mot grecque (comme les natives de la Grèce)
https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/lire/e/131003
Nous sommes d’accord avec Jeannotin. L’origine est très probablement l’Ancien Français. Il a probablement été transmis au Breton, perdu par le Français, puis passé à certains parlers Gallo proche de la limite avec le Breton (en l’occurrence le parler du Pays de Questembert, ayant assez récemment perdu le Breton). Cette hypothèse est soutenue par l’absence de ce mot dans les autres langues d’Oïl de l’Ouest où nous l’avons cherché. Sa présence en Créole Réunionnais montre les limites de ce type d’analyse.
- « Donger »
Jeannotin : Danger/donger a une étymologie latine parfaitement bien connue : *dominiarium
https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/lire/e/68560
Si tout le monde semble d’accord avec une origine latine en « dominarium » pour le mot Français « danger » (au sens de « domination, pouvoir, difficulté et … danger »), l’apparition au XVIIè siècle du Breton « donjer » se fait dans un sens bien différent, celui de « dégout », comme en Gallo actuel (y compris en Pays de Retz). Par contre dans toutes les langues d’Oïl étudiées (Mainiot, Normand, Angevin, Poitevin, y compris en Maraichin), le sens Français de « danger » est conservé. Cette situation suggère fortement l’existence d’un lien fort sémantique entre le Gallo et le Breton sur ce mot, sans pour autant une origine celtique.
- « Margate »
Jeannotin : Margate "seiche" est un bretonnisme voyageur rependu sur tout le littoral de langue d'oïl, du Pas-de-Calais à la Gironde
Nous sommes d’accord avec Jeannotin pour l’origine Bretonne implacable du mot « margate ». Mais la présence de ce mot dans le Gallo côtier comme dans le Pays de Retz n’implique nullement l’exclusivité de la transmission à partir du Breton pour le Gallo. Nous le retrouvons également dans toutes les zones côtières de langue d’Oïl (Normand, Poitevin). Cet exemple également montre les limites de la méthode étymologique.