Karrikell :
Voici un texte de René Kerviler (texte 1873) au sujet de l'origine du port de Saint-Nazaire. Comme d'habitude dans Karrikell je l'ai aéré et expurgé de notifications peu intéressantes pour une lecture simplifiée .
Je l'ai découpé en onze parties.
vous pouvez retrouver l'original ici : René Kerviler - Armorique et Bretagne
J'ai transformé les notes de bas de page en paragraphe inclus dans le texte mais en gras italique.
Ce qui est en bleu est un ajout de ma part. Je l'ai agrémenté de photos ou images .
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Tables des matières lien
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Cette étude a été publiée pour la première fois comme premier chapitre de la grande Notice sur le port de Saint- Nazaire, publiée par les soins du Ministère des travaux publics au tome v de la l'Atlas des ports maritimes de France. Tirage à part, Paris, Imprimerie
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6. -Le bassin de Saint- Nazaire . - Projets de MM . Cabrol et Jégou ( 1845-1856) .
Le projet définitif
Il n'y avait en somme qu'un avant projet d'approuvé.
De quatre solutions présentées à l'examen du conseil général des Ponts et chaussées ,
- la première plaçant le bassin à flot dans l'étier de Méan , à l'embouchure du Brivet ;
- la seconde n'admettant , pour Saint- Nazaire , qu'un bassin réduit de moitié avec une seule paire de portes (ancien projet Plantier) ;
- la troisième faisant précéder le bassin à flot d'un avant-port ;
- et enfin la quatrième, celle de M. Cabrol , composée d'un bassin avec écluse à sas et d'un chenal compris entre les deux jetées ,
- le conseil s'était borné à éliminer les trois premières et à augmenter de 2 millions les évaluations de M. Cabrol.
Restait le projet définitif à rédiger . Il fallut encore deux années de nouvelles études , de nouvelles réunions mixtes ou nautiques , de nouveaux projets , de conférences entre les deux ingénieurs en chef, et de correspondances incessantes avec le ministre des Travaux publics .
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Construction de la digue de ceinture
et projet Jégou approuvé en 1847
M. Cabrol avait placé son bassin assez au large de la rive de l'anse de Saint-Nazaire pour obtenir des terre- pleins considérables en arrière , et il prétendait que les fondations du mur en rivière pourraient s'exécuter sans digue-batardeau , à fouille ouverte, par petites parties , dans les intervalles des marées ; il plaçait même en pleine vase le bastion de défense de l'angle nord et s'efforçait de convaincre les officiers du génie militaire de la sécurité de sa construction .
MM . Jégou et de la Gournerie demandaient, au contraire, de rapprocher le bassin de la rive ; et , au lieu de rejeter au N.-E. , dans la vase, un petit bassin spécial aux paquebots transatlantiques et à la marine militaire , ils le projetaient en plein rocher, au milieu du côté ouest .
De plus , ils insistaient avec la plus grande énergie sur la nécessité de la construction immédiate d'une digue
de ceinture formant batardeau, qui permît d'exécuter à sec toutes les fondations des murs de quai par épuisement.
Leur système prévalut enfin . La construction de la digue de ceinture devant former batardeau fut ordonnée par décision ministérielle du 6 mars 1847. Les travaux de cette digue commencèrent immédiatement par voie de régie , et le projet général de M. Jégou fut définitivement approuvé le 19 décembre 1847 , au moment où l'on venait d'achever la digue de ceinture .
Charles Jégou d'Herbeline, ingénieur (Par Jules Lefebvre — École nationale des ponts et chaussées, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=77603277)
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Projet Jégou approuvé après une instruction de ...12 ans
Ce projet définitif , approuvé après une si longue instruction presque non interrompue , de douze années , comportait un grand rectangle de 580 mètres de longueur et 160 mètres de largeur , orienté à très peu près N.-O. , parallèlement à la laisse de basse mer et muni de son côté ouest d'un second rectangle de 140 mètres de long sur 90 de large .
Le périmètre complet du bassin était de 1,660 mètres et sa superficie de 10 hect . 54 ares , divisée en quatre zones de mouillage de 4,68 , 6m , 18, 7 mètres et 7,59 , au-dessous des hautes mers de morte eau .
Les tablettes de couronnement devaient être établies à 3,12 au - dessus de ce même niveau . Les quais, sur une longueur uniforme de 20 mètres , étaient inclinés vers le bassin , suivant une pente transversale de 3 p . % et s'étendaient ensuite horizontalement d'un côté, vers les rivages élevés , limitant l'anse de Saint-Nazaire ; de l'autre , jusqu'aux murs de l'enceinte fortifiée . Dix petits escaliers à deux volées symétriques de quinze marches de 1 mètre de largeur et trois grands escaliers de 15 mètres de longueur et quinze marches parallèles aux murs de quai assuraient les communications des terre-pleins avec le bassin .
Le bassin était défendu par une enceinte bastionnée avec mur d'escarpe dont le couronnement s'élevait à 3,50 au-dessus des tablettes des quais , et avec fossé dérasé à 10 mètres en contre-bas de ce couronnement.
L'entrée du bassin était établie à l'aide de deux écluses :
- l'une à sas et deux portes d'èbe, ayant 13 mètres de largeur, 60 mètres de sas et radier dérasé à 6,10 au- dessous des hautes mers de morte eau (plan normal du bassin) ;
- l'autre, sans sas avec deux portes d'èbe , ayant 21 mètres de largeur et radier dérasé à 6,80 au- dessous du plan normal.
Du côté de la mer, les deux écluses se terminaient sur un même alignement ; mais , du côté du bassin ,
elles s'avançaient en saillies inégales avec musoirs circulaires .
Le bajoyer central avait 15 mètres de largeur et renfermait des aqueducs de chasse pour nettoyer le
chenal .
Deux jetées en maçonnerie de 4 mètres de couronnement et 55 mètres d'écartement (celle d'amont plus longue que celle d'aval) délimitaient le chenal à creuser et à entretenir dans la vasière : elles étaient prévues droites ; la décision prescrivit de les courber vers l'embouchure de la rivière.
Enfin , un port d'échouage était établi entre l'ancien môle et les jetées du chenal , dans le rentrant de la grande courtine du front des fortifications séparé du mur d'escarpe par un fossé de 10 mètres et ne communiquant avec la place que par un pont-levis aboutissant à une poterne .
Pour le protéger contre l'action des vagues, un môle d'abri assez compliqué devait s'enraciner dans l'ancien môle .
L'adjudication des travaux eut lieu le 7 février 1848 .au profit de M. Bucquoy , avec un rabais de 4 p . 0/0, et fut approuvée ministériellement le 12 , douze jours par conséquent avant la révolution de février.
Le Roi Louis-Philippe (Franz Xaver Winterhalter — Portraits officiels: Louis-Philippe et Napoléon III, uploaded by user:Rlbberlin)
Louis-Philippe est le dernier roi à avoir régné en France, entre 1830 et 1848, avec le titre de «Roi constitutionnel des Français». Bien moins traditionaliste que ses prédécesseurs, il incarna un tournant majeur dans la conception et l'image de la royauté en France. Son règne fut interrompu par la révolution de février évoqué ici.
Exécution des travaux 1848-1856
L'exécution dura huit ans avec des alternatives très diverses . Les événements politiques en ralentirent beaucoup la marche, de 1848 à 1852 on faisait des économies ; on demandait des réductions d'ouvrages .
A la suite des difficultés qui en résultèrent, l'entreprise Bucquoy dut être résiliée le 8 juillet 1853, après 2.5000.000 f . dépensés .
La réadjudication eut lieu au mois de septembre 1853, avec le même rabais au profit de M. Deslandes- Orière , et le premier navire entra dans le bassin le jour de Noël 25 décembre 1856.
Pendant cette période, les travaux subirent plusieurs modifications importantes . Ils avaient été évalués à 7 millions d'après la loi de 1845 et dans le projet définitif approuvé le 19 décembre 1847.
Le 15 novembre 1849, le ministre des Travaux publics , à la recherche d'économies notables sur les dépenses de son département , invita les ingénieurs à « rechercher scrupuleusement quels étaient, dans les travaux entrepris par l'amélioration du port de Saint-Nazaire , les ouvrages ou portions d'ouvrages dont l'exécution pourrait, sans inconvénient grave, être soit définitivement abandonnés , soit indéfiniment ajournés . »
Economies demandées par le Ministère
Il en résulta que la dépense totale de 7 millions fut abaissée à 4,500,000 fr . :
1° En supprimant le port d'échouage et les murs. d'escarpe des fronts de mer , remplacés par de simples talus gazonnés .
2º En réduisant la profondeur du bassin, opération très malheureuse dont on ressent toute l'importance aujourd'hui . Au lieu de quatre zones de 4,68 , 6,18, 7 mètres et 7,50 de profondeur, divisant le bassin en proportions à peu près égales , on augmenta , aux dépens des autres zones , la superficie de la zone la moins profonde .
3° En réduisant de 1 mètre la hauteur des murs de quai du bassin , auxquels on n'accède plus que par des pentes beaucoup trop inclinées en sorte qu'il est arrivé plusieurs fois que la hauteur de la marée a dépassé le niveau des quais . Le 1er janvier 1877 , elle les a noyés sous 0,60 . Mais il est vrai, d'autre part , que les navires usent d'autant moins leur bordé que les quais sont moins élevés .
4° En supprimant les trois quarts des escaliers prévus sur les quais .
5° En construisant les écluses sans saillie intérieure sur le quai est du bassin .
6º En supprimant les deux ponts tournants sur les écluses .
7° En remplaçant les jetées en maçonnerie du chenal par des estacades en charpente opération très heureuse . cette fois , car le courant littoral , se faisant sentir en partie à travers les jetées , rend l'envasement du chenal beaucoup moins considérable qu'il ne le serait avec des jetées pleines en maçonnerie. Les jetées , du reste, eussent été très difficiles à fonder, surtout au voisinage de leurs musoirs .
Elargissement de la grande écluse pour cause d'adaptation à la modernité
Une modification plus importante , mais qui n'avait pas l'économie pour prétexte , eut lieu en 1853 pour les dimensions de la grande écluse . Le projet , approuvé en 1847 , la prévoyait à 21 mètres d'ouverture ; mais une dépêche ministérielle du 21 août 1851 fit remarquer aux ingénieurs que « l'écluse d'entrée du bassin de la Floride au Havre , dont l'ouverture est de 21 mètres , était devenue à peine suffisante pour donner passage aux grands bâtiments à vapeur transatlantiques dont les dimensions tendaient encore à s'accroître , et les invita en même temps à étudier les modifications qu'il y avait lieu de proposer dans ce sens à l'écluse d'entrée dont l'exécution n'était pas encore commencée .
» Eu égard aux dimensions colossales des aubes des roues des paquebots , les ingénieurs présentèrent, au mois de décembre 1852 , un projet d'écluse de 27 mètres de largeur . Une décision ministérielle du 19 novembre 1853 fixa les dimensions de l'écluse à 25 mètres avec abaissement du radier de 0,50 sur les prescriptions du projet de 1847. La construction fut effectuée d'après ces bases , et , le projet des grandes paires de portes en fer et bois ayant été ensuite approuvé le 15 juin 1855 , tous les traits caractéristiques du bassin en lui - même se trouvèrent définitivement fixés .
Enfin les commissions mixtes arrêtèrent en 1854 un plan général de fortifications pour la nouvelle ville de Saint-Nazaire qui devait être aussi complètement fermée , et les ingénieurs dressèrent, conformément à ce plan d'enceinte et d'accord avec le Conseil municipal ( qui avait approuvé dans sa séance du 18 août 1850 un avant-projet dressé en mars 1848) , un plan d'alignement complet pour la nouvelle ville . Ainsi fut arrêté l'ensemble de tous les travaux civils et militaires dont les dispositions paraissaient absolument définitives à la fin de l'année 1856 , quand le premier navire fit son entrée dans le bassin.
Arrivée du chemin de fer à Saint-Nazaire en 1857
Peu de mois après cette date mémorable dans les fastes de Saint -Nazaire, le 10 août 1857 , le chemin de fer de Nantes à Saint-Nazaire auquel on n'avait songé, de 1852 à 1855, que lorsque les premiers travaux touchaient déjà leur terme , était inauguré, et renforçait ainsi le nouvel et puissant engin de trafic mis à la dis-
position du commerce.
M. A. Wattier, lingénieur qui venait de terminer le bassin , mourut à la peine le 5 janvier 1858 et fut remplacé par M. Leferme, depuis inspecteur général au service central des phares .
Travaux complémentaires 1858-1867, Achèvement des travaux
Beaucoup de travaux complémentaires restaient à exécuter . Un crédit de 1,200,000 francs , alloué par décret du 1er décembre 1858 , permit de construire un ensemble de voies pavées et d'ouvrages accessoires que demandaient les besoins sans cesse croissants de la grande navigation .
Une partie du matériel de dévasement dut être construit d'urgence sur la seconde partie de ce crédit, en sacrifiant les travaux du port d'échouage et certains accessoires de fortification d'intérêt moindre que la conservation des profondeurs du chenal et du bassin à flot.
Enfin un autre crédit de 720,000 francs fut alloué par décret du 21 juillet 1861 , portant ainsi les dépenses autorisées pour le bassin de Saint-Nazaire à 8,920,000 francs ; et ce n'est en réalité qu'en 1867 , trente ans après la rédaction de l'avant-projet de M. Plantier, que le bassin de Saint-Nazaire a reçu son entier achèvement.
Ce ne fut pas néanmoins sans de nouveaux changements accessoires , dont la description est intimement liée à l'historique de la création du second bassin à flot dit de Penhouët .