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Culture bretonne de Saint-Nazaire (Brière/Presqu'île Guérandaise/Pays de Retz)

Histoire de la fondation du port de Saint-Nazaire - René Kerviler (11/11) - La ville de Saint- Nazaire

Karrikell :

Voici un texte de René Kerviler (texte 1873) au sujet de l'origine du port de Saint-Nazaire. Comme d'habitude dans Karrikell je l'ai aéré et expurgé de notifications peu intéressantes pour une lecture simplifiée .

 

Je l'ai découpé en onze parties.

 
 
 

vous pouvez retrouver l'original ici :  René Kerviler - Armorique et Bretagne

J'ai transformé les notes de bas de page  en paragraphe inclus dans le texte mais en gras italique.

Ce qui est en bleu est un ajout de ma part. Je l'ai agrémenté de photos ou images .

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Tables des matières lien

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11. La ville de Saint- Nazaire

 

 

Saint-Nazaire vivotait depuis trois siècles : petit bourg 

et grand territoire rural

 


On doit considérer la création de la ville de Saint-Nazaire comme une conséquence directe de l'établissement du port, avec lequel l'histoire de son développement est intimement liée .

 

Il est donc naturel que nous consacrions à cette histoire la dernière section de notre étude .
 

Aucun des anciens documents parvenus à notre connaissance ne nous accuse de développement sensible dans le bourg ou la paroisse de Saint-Nazaire depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'en 1845 , au début des travaux.

 

Les registres paroissiaux des naissances , conservés avec diverses lacunes depuis l'année 1576, nous apprennent que la moyenne des naissances était de 120 par an dans la période de 1610 à 1620.

(Archives de la commune de Saint-Nazaire . On n'y possède les actes civils que de 1576 à 1580 , de 1590 à 1596 , de 1608 à 1620 et depuis 1634 sans interruption : le tout en fort mauvais état .)


Nous trouvons , d'autre part , dans un mémoire à consulter , dressé pour le général de la paroisse dans un procès au parlement de Rennes contre les gros décimateurs en 1754 , que le nombre des habitants de toute la paroisse ne dépassait pas 4,000 âmes de population presque toute rurale, car la paroisse avait 3 lieues de diamètre, et le bourg ne contenait que 80 feux agglomérés .

 

La statistique de l'arrondissement de Savenay, publiée en 1835' par le sous - préfet Darttey, nous fournit des chiffres officiels absolument semblables aux précédents . La population de toute la commune était alors de 3,800 habitants pour une superficie territoriale de 56,136 hectares , et le nombre des naissances annuelles de 126.

 

Enfin le recensement effectué d'après l'ordonnance du 30 janvier 1847 accusait une population totale de 4,145 habitants dont 937 agglomérés dans le bourg de Saint- Nazaire, et 3,208 de population rurale .

 

Mais les ouvriers commençaient déjà à se rendre dans la commune pour les travaux de la digue de ceinture du premier bassin. .

 

On peut donc affirmer que, pendant les trois derniers siècles, le bourg de Saint-Nazaire n'avait pris aucun développement .

 

Composé d'une centaine de maisons groupées et très resserrées sur la presqu'île de rochers qui s'avançait en Loire, il n'a commencé à s'épanouir qu'avec les travaux du port.

Saint-Nazaire en 1828 ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

Saint-Nazaire en 1828 ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

 

Début de l'accroissement de la population à partir de 1857

 

 

Le mouvement suivit même une marche très lente pendant les travaux, car le recensement de 1852 ne constate que 1,946 habitants agglomérés et 5,318 habitants de population totale ; et le recensement de 1856 , 2,394 habitants agglomérés et 5,634 habitants de population totale .

 

Ce ne fut que quelques mois après l'ouverture du premier bassin ( 26 décembre 1856) , puis du chemin de fer (10 août 1857) qu'on songea sérieusement à se mettre en mesure de recevoir la population relativement nombreuse qui allait être appelée à exploiter le nouveau port.


Les constructions prirent une très grande extension en 1857 et 1858 , et une plus grande encore en 1862 lorsqu'à la suite de la loi du 7 juin 1857 les deux lignes transatlantiques du Havre à New-York avec escale à Brest, et de Saint-Nazaire aux Antilles et Aspinwal avec annexes sur la Guadeloupe , le Mexique et Cayenne, furent concédés pour vingt ans , par décret du 22 juillet 1861 , à la Compagnie générale maritime représentée par M. Emile Péreire.


Le 14 avril 1862 eut lieu, après de brillantes fêtes d'inauguration et au milieu des salves « du canon de la paix », pour employer l'expression de M. Péreire, le premier départ du paquebot la Louisiane pour le Mexique ; puis la Compagnie maritime , devenue la Compagnie générale transatlantique , ayant été obligée, par son cahier des charges , de faire exécuter en France la moitié de son matériel flottant, installa, dès la fin de l'année , sur le rocher de Penhouët, de grands chantiers de construction qui ont occupé pendant environ quatre ans plusieurs milliers d'ouvriers et qui ont contribué dans une très notable mesure au rapide développement de la ville.

 

 

Grincement de dents de Nantes 

devant la croissance de Saint-Nazaire (1857-1858)

 

Dans l'intervalle, l'administration de la marine avait érigé, au mois de décembre 1857, le syndicat de Saint-Nazaire en quartier, ce qui suscita de vives réclamations de la part de la Chambre de commerce et de la ville de Nantes, parce que l'ouverture du service de l'inscription maritime en ce port avait pour conséquence d'y faire opérer dorénavant tous les armements et désarmements administratifs des navires ne remontant pas la Loire .
 

 

Ces réclamations s'accentuèrent encore quand l'administration des douanes eut donné en 1858 un avis favorable à la création d'un entrepôt réel des douanes à Saint-Nazaire.
 

 

Une pétition fut aussitôt adressée au Gouvernement pour demander avec instance :
 

1° Qu'on maintînt pour les armateurs la faculté de pouvoir armer et désarmer à Nantes les navires restés à Paimbœuf et à Saint-Nazaire ;

 


2° Que le règlement du 6 décembre 1842 sur la navigation et les opérations d'allègement, de transbordement et de déchargement dans la partie maritime de la Loire, qui avait été étendu aux opérations de même nature accomplies au moyen du chemin de fer, fût toujours appliqué, même après la constitution de l'entrepôt de Saint-Nazaire ;
 

 

3° Que la rade et le bassin de cette ville restassent toujours l'avant-port de Nantes .

(Un grand nombre de mémoires et brochures furent publiés à cette époque pour protester, au nom des intérêts nantais . Nous citerons en particulier Mémoire de la Chambre de commerce de Nantes sur des mesures administratives prises à l'égard de Saint- Nazaire)

On y soutenait en particulier qu'il ne suffit pas de déclarer que Saint-Nazaire est un port distinct de Nantes pour que cela soit ; que le contraire existe en fait, puisque Saint-Nazaire n'a ni navires , ni capitaux , ni armateurs , ni spéculateurs , ni industrie , ni marché ; que navires , armateurs , capitaux , marché, tout est à Nantes ; que c'est à destination de Nantes que sont toutes les marchandises qui entrent dans l'avant-port ;

 

que houille , bois , sucre , métaux, tout y doit forcément venir pour y être livré à l'industrie nantaise, sauf ce qui est nécessaire à la consommation ou au commerce de la localité ; qu'il n'y a donc aucune similitude à établir entre Saint-Nazaire et Nantes , et Rouen et le Havre, qui , depuis des siècles, sont deux grands marchés séparés, ayant toujours eu des commerces spéciaux et distincts .

 

Croissance inexorable du port de Saint-Nazaire à partir de 1861

 

 

Cela pouvait être vrai à cette époque, dans une certaine mesure, et l'est beaucoup moins aujourd'hui ; mais il n'était plus possible d'enrayer désormais le développement du port et de la ville .
 

 

Le mouvement de navigation atteignait bientôt un tel chiffre, qu'il fallait dresser l'avant-projet définitif d'un second bassin , et les recensements de 1861 et de 1866 nous apprennent que la population agglomérée , qui n'était que de 2,394 habitants en 1856, s'était successivement élevée à 6,500 en 1861 et à 11,643 en 1866.

 

 

Méan est détachée de Montoir pour être rattachée à Saint-Nazaire : 3 mai 1866

 

 

Par suite de l'accroissement du territoire obtenu par l'adjonction de la section de Méan détachée de la commune de Montoir (loi du 13 mai 1866) , la population totale de la commune de Saint-Nazaire atteignait alors le chiffre de 18,879 habitants ; elle avait presque quintuplé en dix ans .

Méan vers 1900  (on y voit l'église) (https://collection-jfm.fr)

Méan vers 1900 (on y voit l'église) (https://collection-jfm.fr)

 

Une nouvelle Californie

 

 

Mais la formation de la cité était une œuvre bien autrement complexe que la construction du port .

 

On n'avait plus ici , remarque un publiciste breton fort distingué , le secours direct de la science

(M. Audiganne, dans un article de la Revue des Deux-Mondes (livraison du 1er mars 1869) intitulé : Le groupe des marins et Saint-Nazaire (troisième section d'une série sur la région du bas de la Loire) . Cet article a été tiré à part en brochure.)

Il ne suffisait pas non plus de remuer des pierres et des millions : il fallait du temps ; il fallait surtout cet esprit de suite infatigable et cet esprit de mesure raisonnée qu'il est si rare de trouver réunis .

 

On s'adressait à des éléments toujours délicats : les volontés et les intérêts ; et, pas plus que pour le port, rien ne se trouvait prêt sur les lieux mêmes .

 

L'ancienne et petite cité de Saint-Nazaire fut très vite absorbée par les invasions extérieures, et sa modeste agglomération de pilotes , d'artisans et de petits propriétaires, promptement rompue, se vit aussitôt remplacée par une foule de nouveaux venus , de positions très diverses, et inconnus les uns aux autres , mais tous aiguillonnés par le désir de faire rapidement fortune sur un sol où on leur avait annoncé que germaient les succès faciles .

 

Mais ce désir (remarque encore M. Audiganne) , ne suffisait pas pour produire la confiance , l'accord et la cohésion . Aussi a- t-il été dit, non sans justesse , qu'à ce moment on trouvait à Saint-Nazaire, sur une petite échelle , une sorte de Californie où l'isolement des forces était le caractère principal de la situation .

 

On ne comprit pas , au milieu de cet épanouissement subit, où l'on recueillait les dépouilles de toutes les cités voisines (de Paimbœuf pour la fortune maritime , de Savenay pour l'appareil administratif), que l'intérêt suprême consistait à former un nœud commun entre tous ces éléments disparates , impuissants pour constituer par eux-mêmes la cité encore absente.
 

Créer une nouvelle ville comporte ses écueils  (1857...)

 

On comptait sur un développement rapide et sur un progrès ininterrompu , marchant de lui-même , sans obstacles à vaincre , sans efforts pour le guider . Tout fut tracé dans des proportions gigantesques ; on s'attendait à voir, en dix ans , surgir une ville de cent mille âmes ; on éparpilla les constructions sans rien prévoir pour hâter le mouvement de concentration qui fut réduit à s'opérer lentement, de lui-même , et qui n'atteint qu'à peine aujourd'hui de suffisantes proportions pour une ville bien assise .

 

Trois ordres de faits très accusés ont contribué à ralentir et à enrayer le premier essor : les opérations concernant les terrains , les interruptions imprévues dans les travaux, et l'état défectueux des ressorts de la
vie locale.

 

Une spéculation effrénée sur les terrains , surexcitée par les hauts prix alloués en 1857 par le jury d'expropriation pour l'établissement de la gare du chemin de fer, fut une des premières causes qui paralysa le mouvement et jeta la nouvelle ville dans une voie regrettable.

 

En présence des prétentions des détenteurs des terrains compris dans la zone la plus voisine du bassin, qui demandaient de 40 à 100 francs du mètre superficiel, et beaucoup aussi dans la crainte d'être dépossédé si l'on occupait la zone réservée pour la ceinture continue de fortifications auxquelles on a depuis renoncé, on éleva des constructions à plusieurs centaines de mètres du bassin, ce qui força les plans d'alignement à s'étendre outre mesure , pendant que les besoins développés dans le voisinage même du port engageaient à y bâtir des maisons à quatre ou cinq étages , inexplicables au premier abord dans une ville en formation où le terrain abonde.

 

 

De là l'aspect si longtemps étrange de la nouvelle ville avec ses grands espaces vides qui se remplissaient petit à petit et ses logements incommodes pour la population ouvrière , sans compensation pour la population bourgeoise.


Mais en dehors de la spéculation à petite échelle et pour ainsi dire privée , il y eut deux groupes importants qui exercèrent une influence malheureuse sur l'esprit immédiat et sur l'avenir des transactions .

 

 

Premier projet : à l'ouest du bassin de Penhoët : un quasi désert pour l'instant

 

 

Nous ne ferons que citer le premier groupe qui embrassait une vaste superficie de terrains aujourd'hui connus sous le nom de terrains Salamanca à l'ouest et à proximité du chemin de fer et du bassin ; on y traça des quartiers qui pourront trouver un jour des acquéreurs et qui verront des constructions s'élever sur leurs rues aujourd'hui simplement amorcées ou presque désertes .

 

 

second projet de ville dit "des sables" : 

en face du grand traict : un projet grandiose (1865)

 

 

Mais il nous est impossible de ne pas nous étendre davantage sur le second groupe qui , en fort peu de temps, n'a pas absorbé moins de trois sociétés successives par actions , l'une de dénomination anglaise , la Saint-Nazaire Company limited, au capital de 600,000 livres sterling , et dont la dernière se constitua en 1865 au capital de 6 millions de francs sous le titre de la Société de commerce de France .

 

Il s'agissait de créer dans les terrains de sables , placés au bord de la mer, en aval de l'ancienne ville et le long de l'anse inférieure où il avait été question de placer le second bassin , loin par conséquent du mouvement et des affaires , une ville absolument distincte de l'autre .

 

On partait de ce principe que la municipalité ne possédant rien se trouvait pour les expropriations du sol des rues en présence de dépenses improductives évaluées à plusieurs millions .

 

On voulut lui offrir une ville toute faite . Les plans étaient magnifiques : boulevards , église monumentale , théâtre somptueux , caserne, collège , bourse , grand hôtel, halles , abattoir, lavoirs et bains publics , grandes places au nombre de 5, maisons de toute classe réparties en 84 îlots : rien n'avait été oublié .

Et l'on pourrait encore trouver dans les Annales de la construction , dirigées par M. Oppermann, les dessins complets de toutes les merveilles qui devaient recouvrir la dune du Grand-Traict .

 

On n'avait négligé qu'une chose , c'était de se demander d'où viendraient les acheteurs et les habitants .

 

 

La "Saint-Nazaire company" joue-t-elle au père Noël ?

 

 

En vue de la réalisation de ces projets , la Saint-Nazaire Company, représentée par M. Alphonse Cézard , propriétaire de terrains d'une étendue considérable placés dans la nouvelle zone , proposait

  • de céder gratuitement à la ville de Saint-Nazaire tous les terrains nécessaires à l'établissement des voies publiques, places et squares
  • d'exécuter à ses frais le perré de protection de la dune et les escaliers de service du quai - boulevard Napoléon III sur une longueur de 1,000 mètres. environ
  • de contribuer pour une somme importante à la construction de l'église
  • d'exécuter à ses frais, dans des délais déterminés , ou à sa convenance dans certains cas , les halles centrales , l'abattoir, la distribution d'eau, les bains et lavoirs, le théâtre , le grand hôtel , la bourse, le tribunal de commerce , le tribunal civil , la sous - préfecture , le collège et la caserne , à charge par la ville de concéder à perpétuité à la compagnie les terrains appartenant à la commune dans le quartier à créer , le privilège du service de l'eau pour quatre-vingt-dix-neuf ans , l'exploitation des principaux lieux publics pour trente ans
  • de faire ou de terminer le plus promptement possible le réseau général des égouts , les travaux d'éclairage ou d'assainissement et d'entretien des rues et voies publiques comprises dans les terrains appartenant à la compagnie ; enfin d'exempter des droits de douane et d'octroi les matériaux employés dans les constructions nouvelles.

     

 

La société de commerce de France a un projet grandiose elle aussi  (1865)

 

 

On avait cependant bien compris que le tracé d'une ville ne suffisait pas et qu'il fallait y attirer des acheteurs et des habitants .

 

Aussi la Société de commerce de France avait-elle un but complémentaire . Ayant remarqué avec juste raison que la position de Belle-Ile comme station des navires à ordre venant soit du cap Horn, soit du cap de Bonne-Espérance , est unique sur les côtes occidentales , et que Saint-Nazaire en est à fort peu de distance , elle voulait faire de Saint- Nazaire le grand marché des chargements flottants et comme le grand entrepôt du Sud et du Nord .

 

Elle s'était donc ménagé, dans les colonies et dans les ports d'Europe , de puissantes relations commerciales de manière à pouvoir centraliser entre ses mains une grande quantité de produits, et elle avait acquis à Java , outre sept plantations considérables , trois maisons de commerce ayant une clientèle maritime d'une centaine de mille tonnes .

 


Elle se composait donc d'une société immobilière opérant sur 450.000 mètres de terrains , doublée d'une société commerciale en possession d'une clientèle importante et de 2 millions en caisse pour faire des avances sur marchandises et sur chargements flottants .

 

 

Les travaux commencent mais ... la société fait faillite ! (1866)

 

 

Malheureusement des influences politiques vinrent se jeter à la traverse de l'opération commerciale ; et, pour le succès même de l'opération municipale , il eût fallu avoir sous la main près de 50,000 personnes campées sous des abris provisoires en attendant un logement.

 

On commença pourtant les travaux d'appropriation.

On dépensa une centaine de mille francs en digues de défense à la mer, chaussées d'empierrement, trottoirs ,
ouvertures de rues et travaux généraux . Les terrains achetés de 6 à 15 francs étaient cotés dans l'actif de 60 à 120 francs , et l'on établissait que la Société , en joignant aux bénéfices réalisés sur les terrains les produits des différents services d'utilité publique , devait recouvrer intégralement son capital dans un bref délai et réaliser un bénéfice de 5 millions en peu d'années .

 

Mais , dès le mois de juillet 1866 , malgré les dispositions favorables de la municipalité et par suite d'obstacles venus de régions extérieures , la Société fut déclarée en faillite, et dernièrement encore on essayait en vain de vendre tous ces terrains sur une mise à prix de 500,000 francs . 

 

Il y a peu de temps encore , lorsqu'on traversait la dune , le pied heurtait des bordures de trottoirs enfouis dans le sable que le vent amoncelle sans cesse sur ces ruines éphémères . 

 

On se demandait si quelque Pompéï n'était pas cachée sous la dune , et l'on en rapportait une fructueuse leçon contre les entrainements d'une spéculation trop hardie. Le grand boulevard municipal exécuté en 1888 a fait disparaitre en partie ces débris lamentables .
 

 

On comprend quelles conséquences funestes de pareilles tentatives ont eues pour la cité. La principale a été d'empêcher, jusqu'à ces derniers temps, les industriels de Nantes ou des environs de pouvoir trouver des emplacements convenables pour établir des industries qui ont leur raison d'être au contact d'un port : ils ont reculé devant les avances d'argent exagérées qu'il leur aurait fallu faire , et ce ne sera que très lentement , que la ville industrielle pourra s'établir autour du port en profitant d'une notable diminution dans le prix des terrains , ou même des ressources que procurent les immenses terre-pleins conquis sur la mer par les déblais des bassins à flot. C'est ainsi que le Domaine a pu amodier pour une redevance annuelle de 50,000 francs 25 hectares de terrains aujourd'hui couverts d'ateliers et de cales pour la construction des grands navires en fer.

 

Arrêt dans le développement de Saint-Nazaire avec la fermeture des chantiers de construction maritimes de Penhouët (1867)

 

 

Une seconde cause d'arrêt dans le développement de Saint-Nazaire, si l'on considère le brusque épanouissement de la première période, fut la fermeture des chantiers de constructions maritimes de Penhouët, au commencement de l'année 1867, par suite de la faillite de la Compagnie anglaise qui les exploitait pour la Compagnie générale transatlantique et qui n'avait plus
de commandes suffisantes pour subsister . 

 

Plus de deux mille ouvriers qui étaient venus s'installer à Saint-Nazaire et à Méan avec leurs familles, et pour lesquels on avait construit des cités ouvrières fort bien comprises, se trouvèrent tout à coup sans ouvrage, et leur spécialité ne leur permettait pas d'en trouver dans les environs .

 

Ils durent quitter le pays ce fut un coup mortel pour le petit commerce qui les aidait à vivre .

 

Petite consolation : la sous-préfecture passe de Savenay à Saint-Nazaire (1868)

 

Ce déplorable événement coïncidait à peu près exactement avec la translation de la sous-préfecture et de tous les services administratifs qui l'accompagnent de Savenay à Saint-Nazaire;

(la transmission eut lieu le 24 janvier 1868. On trouve une foule de détails de statistique fort intéressants dans les nombreux mémoires pour et contre qui ont été publiés à cette occasion)

 

mais cette compensation ne put réussir à panser la profonde blessure qu'avait causée le licenciement des chantiers de Penhouët : la Compagnie transatlantique les acheta et les rouvrit momentanément pour achever tous les travaux de transformation de sa flotte ; car à peine ses paquebots à aubes avaient-ils été terminés qu'il fallut aussitôt les remanier pour leur adapter des hélices . 

 

Ces travaux durèrent peu de temps, et pendant dix années les immenses chantiers de Penhouët qui avaient livré huit paquebots furent abandonnés et tombèrent en ruines . 

 

 

Chantiers rétablis seulement en 1881 et installation d'un concurrent 

 

Ils ont été rétablis en 1881 et s'épanouissent plus brillants que jamais , accompagnés d'un voisin plus brillant encore qu'eux , représenté par les chantiers et ateliers de la Loire

Il y a d'autant plus lieu d'espérer que la vitalité de ces chantiers qui ont exécuté depuis dix ans, les uns, des paquebots comme la Champagne, la Bretagne et la Touraine, les autres, des vaisseaux de guerre comme l'amiral Korniloff pour la Russie , l'Hydra pour la Grèce , le Chishima pour le Japon , le Milan et le Valmy pour la France , se maintiendra et s'accroîtra, malgré des crises passagères, que le grand établissement métallurgique créé en 1882 à Trignac le long du Brivet, à 2 kilomètres au nord de Saint-Nazaire, leur assure, aux meilleures conditions de transport , toutes les matières de fer et d'acier qui leur sont nécessaires .

Chantiers de la Loire ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

Chantiers de la Loire ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

Chantiers rétablis seulement en 1881 et installation d'un concurrent 

 

Ils ont été rétablis en 1881 et s'épanouissent plus brillants que jamais , accompagnés d'un voisin plus brillant encore qu'eux , représenté par les chantiers et ateliers de la Loire

Il y a d'autant plus lieu d'espérer que la vitalité de ces chantiers qui ont exécuté depuis dix ans, les uns, des paquebots comme la Champagne, la Bretagne et la Touraine, les autres, des vaisseaux de guerre comme l'amiral Korniloff pour la Russie , l'Hydra pour la Grèce , le Chishima pour le Japon , le Milan et le Valmy pour la France , se maintiendra et s'accroîtra, malgré des crises passagères, que le grand établissement métallurgique créé en 1882 à Trignac le long du Brivet, à 2 kilomètres au nord de Saint-Nazaire, leur assure, aux meilleures conditions de transport , toutes les matières de fer et d'acier qui leur sont nécessaires .

 

 

Appel à la création d'une chambre de commerce locale  (1869 qui aboutit en 1879)
 

 


Enfin , aux vicissitudes de la vie industrielle et aux erreurs de la spéculation sur les terrains, il faut joindre, pour expliquer l'arrêt momentané produit vers 1868 dans le développement de Saint-Nazaire, le manque de cohésion et d'ensemble dans les efforts locaux que ne pouvait pas concentrer avec assez d'initiative et d'énergie l'autorité communale , entre les mains de laquelle se trouvèrent pendant très longtemps réunies toutes les attributions.

 


Ce qu'il aurait fallu pour grouper tous les intérêts commerciaux ou industriels et pour les amener à pouvoir s'entendre et se concerter dans la voie la plus favorable au développement rationnel de la prospérité du pays, c'est une chambre de commerce spéciale

 

Des négociations très actives furent entreprises à ce sujet en 1869 et elles allaient aboutir dans le sens bien entendu des intérêts de Saint-Nazaire, quand les désastreux évènements de la guerre de 1870 vinrent se jeter à la traverse et arrêter la solution .

 

Elle n'a eu lieu qu'en 1879 dans le sens de la création; et, par un malheureux concours de circonstances, le seul tuteur commercial de Saint-Nazaire a été jusque- là la Chambre de Nantes , c'est-à- dire son adversaire . 

 

Tant que Saint-Nazaire ne possédait pas une Chambre de commerce spéciale, son activité se trouvait forcément bornée par des obstacles infranchissables; cette fondation , au contraire, a déterminé la constitution d'un noyau commercial solide autour duquel se grouperont successivement tous les intérêts économiques de la cité. 

 

Avec une Chambre de commerce , on n'eût pas attendu jusqu'en 1873 la construction d'un entrepôt réel des douanes , et le bassin de Penhouët eût été sans doute beaucoup plus vite achevé .

La chambre de commerce ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

La chambre de commerce ( image de http://histoire-saint-nazaire.fr)

Malgré tant d'obstacles de toute espèce qui ont inspiré, à un moment donné , des craintes assez sérieuses pour l'avenir de Saint-Nazaire , la ville se développe aujourd'hui normalement, à force de persévérance . 

 

 

La frégate prussienne Augusta menace de bombarber la ville en 1870

 

 

Elle a traversé, sans trop de mal, la crise néfaste de 1870, et son port a servi de principal débouché, à la fin de cette malheureuse année , aux munitions de guerre qui nous arrivaient d'Amérique . 

 

On regretta bien un moment de n'avoir pas exécuté les fortifications projetées en 1850 quand la frégate prussienne Augusta vint mouiller à l'embouchure de la Loire et menaça de bombarder la ville et son bassin; mais ce ne fut qu'une panique passagère : l'Augusta, redoutant peut-être les batteries échelonnées sur la côte et jusque sur le rocher de Saint-Nazaire, ne tira pas un coup de canon .

La frégate Augusta  (Par Alexander Kircher —  Domaine public)

La frégate Augusta (Par Alexander Kircher — Domaine public)

Création d'importants monuments publics (1870 ...)

 

La confiance renaquit , et depuis quelques années une nouvelle ère de marche sérieuse en avant s'est déclarée . 

De tous les côtés , d'importants monuments publics ont commencé à surgir du sol : 

 

une section de l'hôpital 

  • un entrepôt
  • un abattoir 
  • une prison 
  • une poissonnerie,

ont d'abord succédé à la mairie et aux écoles qui pendant longtemps avaient été les seuls établissements municipaux de la cité; puis la ville a contracté en 1876 un emprunt d'un million , et l'on a aussitôt construit

 

  • des égouts
  • un collège
  • un tribunal
  • un grand marché couvert .

 

Les immenses vides des rues tracées se referment, une distribution d'eau dont on ne s'était pas jusqu'en 1880 préoccupé suffisamment a établi un service régulier, et l'on vient de livrer au culte (2 août 1891) une magnifique église paroissiale , pavée en bois , éclairée à l'électricité , qui a coûté 600 mille francs , sans un centime de subvention ni de l'Elat, ni du département, ni de la commune : ce qui prouve assez l'intensité de vie propre qui anime la population .

 

Saint-Nazaire aujourd'hui (1890)

 

Aujourd'hui , la commune de Saint- Nazaire qui possédait, en 1880, 19,626 habitants , dont 15,843 agglomérés, et en accusait 25,000 au recensement de 1885, a dépassé le chiffre de 30,000 au recensement de 1890, soit un accroissement régulier de mille habitants par an depuis une quinzaine d'années . 

 

Elle possède :

 

  • une sous-préfecture avec tous les services administratifs qui en dépendent
  • un tribunal de première instance
  • une chambre de commerce
  • un quartier d'inscription maritime
  • une école d'hydrographie
  • une inspection des douanes
  • un conseil de prud'hommes
  • un hôpital
  • un collège communal
  • deux grandes écoles primaires communales
  • deux établissements d'instruction professionnelle libre
  • deux paroisses urbaines 
  • trois paroisses rurales 
  • des consulats ou vice-consulats de toutes les nations maritimes ; 

 

mais tel a été pendant longtemps le peu de cohésion de tous ces éléments pour ainsi dire factices , que jusqu'en 1883 aucun cercle n'a pu s'établir d'une façon durable. 

 

On en avait beaucoup essayés : tous sont morts .

 

Les nouveaux établissements industriels qui ont surgi depuis 1881 ont enfin permis de réaliser ce problème . 

 

Un sérieux mouvement en avant est désormais dessiné, et rien ne paraît devoir l'enrayer, si des événements
absolument imprévus ne viennent y faire obstacle .

 

 

 

L'Etat n'aurait il pas du créer la ville ?

 

On s'est demandé , en voyant combien a été si mal résolu à l'origine le problème fort intéressant de la création d'une ville entièrement nouvelle à l'embouchure de la Loire , si l'administration n'aurait pas bien fait de prendre en main la question , en achetant au début, sous la réserve du remboursement par la commune, les 60 hectares qui eussent rigoureusement suffi à la première assiette de la ville . Il eût été possible alors de forcer les constructions à s'élever d'une façon rationnelle sur des terrains qu'on eût revendus à des prix relativement peu élevés, tout en fournissant à la municipalité les ressources indispensables pour satisfaire aux nécessités de toute nature qui allaient se produire.

 

Il est certain que l'Etat , qui s'imposait seul d'énormes sacrifices pour créer sur une plage presque déserte un immense port à la hauteur de tous les progrès modernes, aurait pu, sans présomption, rechercher les moyens de s'assurer que la ville qui allait nécessairement naître au contact de ce port s'établirait dans des conditions aussi parfaites . 

 

Mais il n'est pas bon, en règle générale , que l'Etat se substitue dans ces matières à l'initiative privée lorsqu'un intérêt général majeur ne se trouve pas en jeu.

 

En somme , si des fautes ont été commises et si quelques ruines en ont été la conséquence , il s'est trouvé que la spéculation exagérée aurait seule le droit de se plaindre. Nous ne la plaignons que de sorte . 

 

Ce qui est arrivé déjà est une leçon très instructive pour l'avenir au moment où une ère de développement considérable a coïncidé avec l'ouverture du second bassin à flot. 

 

 

Le développement industriel continue et ...la gare de Vierzon 

 

 

On a constaté déjà la construction d'usines métallurgiques très importantes dans notre voisinage . 

 

Des sociétés d'entrepôts et des compagnies de paquebots étrangères ont pris place dans le nouveau bassin . 

 

Le succès de l'avenir est assuré , à cause des conditions exceptionnellement favorables de l'atterrissage du port de Saint-Nazaire , car Bordeaux , le Havre et Saint-Nazaire , les trois ports d'embouchure de nos trois grandes vallées sur l'Océan , sont à égale distance de la gare de Vierzon, que l'on peut considérer comme le nœud de notre réseau de chemins de fer, et tandis que Bordeaux est séparé de la mer par la Gironde dont les tirants d'eau sont insuffisants, tandis que le Havre a contre lui la navigation difficile et périlleuse de la Manche, Saint-Nazaire est à quelques heures de Belle-Ile et en contact immédiat avec des rades exceptionnelles . 

 

 

L'avenir de Saint-Nazaire est assuré

 

 

Or, quand bien même Saint-Nazaire ne resterait, sauf en ce qui concerne le commerce des houilles et des bois du Nord ou d'Amérique, dont l'importation s'y accentue de jour en jour , qu'un simple port de transit, une simple gare de contact entre la mer, la Loire et le réseau de nos chemins de fer , cette situation lui assure dans l'avenir une prospérité solide et durable . 

 

Mais le sort de cette prospérité est tout entier entre ses mains ;

car elle ne lui sera profitable que si son développement s'opère sans secousses , avec la sage modération
qui guide ordinairement les gens d'âge mûr quand l'expérience acquise par les mécomptes des illusions de
la jeunesse les a corrigés .

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