Introduction Karrikell :

Ce chronomètre préhistorique que René Kerviler découvrit lors de ces travaux pour la cale de Penhoët, le rendit célèbre , mais à l'instar de la Villemarqué avec son recueil de chansons en breton, provoqua une énorme polémique qui le discrédita . 

 

En effet son chronomètre (les alluvions) ne remontaient pas à plus de 6000 ans, ce qui étaya les thèse chrétiennes de l'époque (création du Monde par Dieu), mais rentra en conflit violent avec deux savants de l'époque qui arguaient de dates plus réculées.

Si on élude le côté idéologique, je pense qu'on ne peut écarter tout de même ce travail historique fait par René Kerviler. 

Hervé Brétuny.

Le chronomètre préhistorique de Saint-Nazaire 1/6 Introduction  - René Kerviler
Le chronomètre préhistorique de Saint-Nazaire 1/6 Introduction  - René Kerviler


(Cette étude est le résumé de plusieurs mémoires publiés de 1876 à 1881 dans les Mémoires de l'Association Bretonne, dans la Revue archéologique, dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences dans les mémoires de la Société archéologique de Nantes , dans ceux de l'Association française pour l'avancement des sciences, dans la Revue scientifique (dite Revue rose ) , et dans la Revue des Questions scientifiques (de Bruxelles) .

Ce titre paraîtra sans doute à quelques-uns passablement prétentieux : mais il ne m'appartient plus de le supprimer. 

 

La première étude sur ce sujet, que je publiai en 1877 dans la Revue archéologique, était plus modestement intitulé : L'âge du bronze et les Gallo-Romains à Saint-Nazaire-sur-Loire

 

La critique s'en empara aussitôt pour la discuter avec une ardeur qui prouvait l'importance de la question en litige, et mes adversaires la décorèrent presque unanimement de cette nouvelle appellation, sous laquelle elle fut dès lors plus généralement connue . J'ai donc cru bien faire en la conservant.

 

La question , à la fois historique et scientifique , soulevée par la découverte de la stratification régulière des alluvions de l'anse de Penhouët, est en effet fort importante au point de vue de nos origines, et la vive controverse qu'elle a soulevée pendant trois ans suffirait , à elle seule, pour en démontrer l'intérêt .

 

 

 

Discours du Ministre de l'instruction publique au Congrès des délégués des Sociétés savantes, avril 1877

 

Elle fut ainsi exposée , pour la première fois , au monde savant par M. Waddington , ministre de l'instruction publique , dans son discours au Congrès des délégués des Sociétés savantes à la Sorbonne , au mois d'avril 1877 :
 

"Messieurs , j'ai réservé pour la fin une découverte dont vous reconnaitrez toute l'importance , et dont je puis véritablement
vous offrir la primeur, grâce à l'obligeance de M. Alexandre Bertrand, le savant directeur du musée de Saint-Germain .
Cette découverte est destinée à avoir, sur les études préhistoriques , une influence décisive .

 

"Un jeune ingénieur¹ , M. Kerviler, (J'avais alors trente-cinq ans) occupé à creuser un bassin à Penhouët, près Saint-Nazaire, a constaté que les couches d'alluvions qui avaient été déposées par le fleuve pouvaient se compter d'une manière régulière, absolument comme les années d'un sapin peuvent se compter par les couches concentriques du bois .
 

"M. Kerviler a remarqué que les dépôts annuels de la Loire se sont toujours effectués avec une constante régularité ; aussi loin qu'il a pu pénétrer dans les couches qui se sont accumulées, il a retrouvé la même disposition. 

 

Il a pu faire ses observations sur une hauteur de 8 mètres, mais la profondeur totale est de 30 mètres, je crois, et il se propose
de pousser ses explorations jusqu'au sol granitique , au moyen d'un puits à large section .

 

"M. de Quatrefages écrivait dernièrement, dans son livre sur l'espèce humaine , qu'il avait été impossible , jusqu'à présent, de déterminer d'une façon un peu précise la valeur chronologique des couches successives qui se sont formées soit dans les tourbières, soit dans d'autres alluvions , et qu'on n'avait aucune manière de déterminer les accroissements annuels ainsi formés .
 

" La découverte de M. Kerviler vient, je crois, de résoudre ce problème, au moins pour cette partie de la France . Les couches sont de trois à trois millimètres et demi chacune ; chaque alluvion est formée de trois pellicules , l'une de détritus végétaux, l'autre de glaise, et la troisième de sable : 

 

elles correspondent aux alluvions du fleuve pendant les différentes époques de l'année . Les végétaux arrivent à l'automne après la chute des feuilles , le sable et la glaise viennent s'y ajouter pendant l'hiver et pendant l'été . Les couches étant, comme je viens de le dire , de 3 millimètres 1/2 , il en résulte que 35 centimètres représentent un siècle . 

 

Ce qui permet de déterminer d'une manière exacte l'épaisseur et le nombre des couches, c'est que les végétaux constituent une couche d'isolement ; lorsque la tranchée est exposée à l'air , le sable se désagrège, et on peut compter les couches , absolument comme les cercles concentriques d'un tronc de sapin .
 

 

"M. Bertrand a déjà rapporté des blocs d'alluvions de Penhoët et des objets trouvés dans les fouilles , qui sont entre les
mains des savants .

 


"Comme je vous le disais , les investigations vont être continuées sur une grande échelle, et avec toutes les garanties
scientifiques ; j'ai mis à la disposition de M. Kerviler la somme nécessaire pour continuer ses recherches . J'ajoute que
déjà on a pu, grâce aux objets trouvés à différentes profondeurs , arriver à des résultats chronologiques importants.

 

 

Ainsi, on a découvert des monnaies de l'empereur gaulois Tétricus , et la profondeur des couches où on les a trouvées , comparée au sol actuel, donne la date de 300 ans après J.-C.

 

C'est à peu près la date à laquelle vivait Tétricus . En allant plus avant, on a trouvé, dans une couche de sable plus pro-fonde, des épées et un poignard en bronze , une hache en pierre polie avec un manche de corne de cerf, des bois aiguisés, des pierres percées qui servaient d'ancres à des embarcations  et, étant donné l'hypothèse de 35 centimètres par siècle, ces objets correspondraient au cinquième siècle avant Jésus-Christ. 

 

C'est aussi à cette époque que l'on peut les rapporter, d'après les données de la science .
 


"Je ne crois pas devoir insister davantage sur l'intérêt qui s'attache à cette découverte qui permettra de fixer approximativement la fin de l'époque quaternaire sur ce point du globe, et qui suscitera certainement des recherches analogues sur d'autres points de la France et de l'Europe . J'ai pensé que la réunion des Sociétés savantes serait heureuse d'avoir été la première à en être informée . (Applaudissements¹) .. "
 

 

Début de la polémique

 

Or, la conclusion à laquelle m'amenèrent ces études fut que l'origine des alluvions quaternaires de l'embouchure de la Loire ne remontait guère au delà de six mille ans avant notre ère . 

 

Je ne m'attendais certes pas à ce que cela devînt une véritable déclaration de guerre .
 

Il en a pourtant été ainsi .
 

 

On s'imagine volontiers , dans un certain milieu qui fait profession d'hostilité systématique aux traditions religieuses , que les six ou huit mille ans , assignés par la chronologie populaire à la date de la création de notre monde, constituent un article de foi pour les catholiques ; en conséquence , toutes les observations scientifiques qui se rapprochent de cette supputation y sont impitoyablement combattues ; on les déclare même , à priori, impossibles . 

 

Et cependant, tous les esprits impartiaux savent que l'incertitude de la chronologie biblique antérieure au déluge' donne au savant catholique libre carrière pour reculer fort loin , dans la série des siècles anciens , la date des différentes phases qu'a parcourues l'humanité .

 

Conclusions de René Kerviler

 

Je n'aurais donc éprouvé aucun scrupule en 1877 à proclamer, d'après mes études sur les alluvions de l'embouchure de la Loire à Saint-Nazaire, que l'âge de la pierre polie remonte , dans ces parages , à dix ou vingt mille ans , et l'origine de ces alluvions à trente ou cinquante mille, si telle avait été la conclusion à laquelle m'eussent amené mes recherches . 

 

Discutant les résultats obtenus avec une méthode rigoureusement scientifique, j'ai été amené à conclure : 

 

1° que les instruments en pierre polie étaient encore en usage régulier, dans cette région , vers le VI° siècle avant notre ère , époque à laquelle ils avaient dû céder la place aux armes de bronze ; 

 

2° que les alluvions quaternaires de l'embouchure de la Loire , qui reposent sur des roches primitives, ne remontent pas à plus de 6 à 8 mille ans avant notre ère, chiffres qui concordent à peu près avec ceux de Manéthon et avec ceux que la tradition populaire attribue à la supputation biblique .

 


J'ai posé ces conclusions en 1877 , parce qu'elles se déduisaient d'observations sérieuses , et je les maintiens d'autant plus énergiquement que de nouvelles observations les ont de plus en plus confirmées .
 

 

 

Attaque de deux savants

 

Elles ont eu malheureusement, je devrais peut-être dire heureusement, le don de déplaire à deux savants qui soutiennent depuis longtemps des dates beaucoup plus reculéés . Eux et leurs disciples m'ont donc vigoureusement attaqué . Ils eussent même volontiers prétendu que mes conclusions n'étaient que le développement d'un système arrêté d'avance . 

 

Ils ont affirmé sur tous les tons que mes observations ne reposaient sur aucune base sérieuse . Bien plus , ils ont cherché à me tourner en ridicule , et m'ont plus d'une fois refusé le droit de réponse , en particulier dans une Revue que je pourrais citer . 

De leur longue et véhémente polémique

il est résulté deux choses : 

 

1 que le bruit qu'ils ont excité n'a fait que donner plus d'importance aux résultats de mon modeste travail ;

 

2° que leurs objections , m'ayant forcé d'approfondir davantage la discussion , m'ont amené à une conviction beaucoup plus enracinée, quand tous leurs spécieux fantômes se sont l'un après l'autre évanouis .
 

 

La polémique se dégonfla

 

Voici plusieurs années que les discussions ont cessé, je ne dirai pas faute de combattants , car je suis toujours prêt à les soutenir, pourvu que ce soit avec des procédés scientifiques et courtois : mais je reste sur mes positions ; et plus je réfléchis , au milieu du calme qui suit les orages , plus je maintiens mes conclusions , en regrettant très sincèrement qu'aucun de mes adversaires n'ait consenti à venir visiter les fouilles du bassin de Penhouët contradictoirement avec moi , pendant qu'il en était encore temps . 

 

Depuis 1881 , huit mètres d'eau recouvrent les fouilles et des maçonneries revêtent les talus . Il ne sera donc plus possible de contrôler mes assertions qu'à l'aide des photographies prises sur place et déposées aux archives de l'Académie des sciences,  alors que chacun pouvait en contrôler la parfaite sincérité .
 

 

Mais les alluvions de Saint- Nazaire ont beaucoup de similaires dans d'autres régions , et des observations analogues à celles que j'ai eu la bonne fortune de suivre dans l'anse de Penhouët , pourraient amener des conclusions du même genre. Il importe donc d'en préciser rigoureusement les termes , et de résumer ici la controverse à laquelle elles ont donné lieu , pour faciliter les recherches futures et pour montrer comment la géologie peut apporter de sérieux secours à l'histoire .
 

 

On appelle certaines périodes préhistoriques , parce qu'elles n'ont pas d'annales écrites dans les livres que nous a laissés la main de l'homme . A défaut de ceux-ci, on a du moins le livre de la nature dont la bibliothèque est plus vaste que toutes les collections de nos capitales .

 

Il est quelquefois difficile à déchiffrer ; mais qu'importe ? on est bien parvenu à lire couramment les inscriptions de Ninive et les papyrus de Memphis !

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