Les alluvions de l'anse de Penhouët

 

 

Le lit primaire du Brivet était différent

 

Au commencement de ce siècle, la rive droite de la Loire, en amont et en aval de Saint-Nazaire , se composait d'une série de promontoires rocheux éloignés d'environ un kilomètre les uns des autres , et réunis par des anses vaseuses dont la partie supérieure était couronnée d'une petite dune de sable . 

 

Quelque mille ans auparavant, la partie située en amont avait un relief tout autrement accusé ; entre les promontoires rocheux dont il vient d'être question , se creusaient des dépressions que les alluvions de la Loire ont comblées à la longue . 

 

Un vaste réseau de sondages a permis, comme nous allons le voir , de rendre à cette rive, au moins sur le papier, son ancienne physionomie .

 


Le bassin à flot actuel de Saint- Nazaire a été construit  de 1846 à 1857 , dans l'anse dite de la Ville-Halluard, entre la pointe de Saint- Nazaire proprement dite et la pointe de Ville-Halluard . 

 

Dans cette anse, l'épaisseur de vase n'était pas très considérable, en sorte que les murs du quai ont pu être établis presque tous sur le roc entaillé directement. 

 

Les fonds de roche ne se présentèrent pas dans des conditions aussi favorables à l'établissement du bassin de Penhouët . 

 

Ce bassin , qui fait suite au premier , et qui est aujourd'hui l'un des plus vastes du monde , s'étend de la pointe rocheuse de la Ville-Halluard à celle de Penhouët . 

 

Des sondages précis , exécutés pour le projet des travaux de construction , et l'étude des reliefs environnants ne tardèrent pas à révéler, dans l'intervalle compris entre ces deux pointes, l'existence d'une ancienne vallée, très profonde, comblée et, pour ainsi dire, effacée par les alluvions de la Loire.

 


En 1874, les fouilles du bassin avaient été conduites, à l'abri d'une digue de ceinture, jusqu'à un mètre environ au-dessous du niveau des basses mers, et déjà les deux coupes des versants rocheux de la vallée se dessinaient très nettement sur le grand talus de ces fouilles .
 

 

En étudiant attentivement la direction générale de ces versants, je fus frappé de voir qu'elle correspondait à peu près exactement à celle de la petite rivière du Brivet, qui amène à la Loire toutes les eaux du grand bassin tourbier de la Brière-Mottière , et qui, par un caprice bizarre, se détourne brusquement, à quelques kilomètres de Saint-Nazaire, pour revenir sur ses pas et se jeter en Loire , près du village de Méan . 

 

Je pensai que cette brusque déviation du Brivet ne devait être qu'un accident, et que, à une époque éloignée, la rivière, ou tout au moins le déversoir du golfe, avait dû déboucher entre les rochers de la Ville- Halluard et ceux de Penhouët. 

 

Les sondages prouvèrent, en effet, que les deux versants rocheux qu'on voyait se dessiner sur le talus des fouilles du bassin ne se rencontraient qu'à un niveau inférieur de 30 mètres environ à celui des basses mers. 

 

Il en résultait , d'une manière absolument certaine, qu'à l'époque où les alluvions vaseuses n'atteignaient pas encore le niveau des basses mers, aussi bien dans la Brière que dans l'anse de Penhouët, la rivière de déversement devait, à mer basse, avoir son écoulement dans l'anse de Penhouët , puisque les rochers de Méan , aujourd'hui apparents à basse mer dans le fonds du Brivet , lui auraient en partie barré le passage .
 

J'en eus bientôt une confirmation , car une colonne artésienne , forée dans le plan présumé du thalweg de la vallée rocheuse, amena la découverte de la rivière primitive . 

 

Après 30 mètres de forage dans une vase compacte imperméable, l'eau jaillit à la surface du sol ; et la pression hydraulique nécessaire pour opérer ce phénomène prouvait que l'eau ne pouvait provenir que des sources du Brivet. 

 

En effet , la pression était supérieure à celle que la Loire exerce en aval , puisque le niveau d'eau dans le puits restait supérieur à celui des hautes mers.

Le chronomètre préhistorique de Saint-Nazaire 2/6- Les alluvions de l'anse de Penhouët - René Kerviler

 

Le Brivet se jetait entre les pointes de la Ville Halluard et de Penhouët

 

Ainsi, à l'origine, le golfe de la Brière déversait ses eaux dans la vallée rocheuse de la Loire, entre les pointes de la VilleHalluard et de Penhouët . 

 

Les intempéries des saisons désagrégèrent les flancs des vallées et formèrent, au fond du thalweg, des dépôts de sable, de roche et de gravier, au milieu desquels l'eau continua de couler. 

 

Plus tard , les terres formées dans les régions supérieures des montagnes de l'Auvergne et du Bourbonnais chargèrent les eaux de la Loire de matières argileuses , et les vases commencèrent à se déposer dans les golfes latéraux , où le courant n'était pas aussi fort que dans le milieu du fleuve . 

 

Ces alluvions s'étant accumulées successivement pendant la longue série des siècles, et ayant été augmentées par le produit des érosions argileuses des rives du littoral de l'océan près de l'embouchure du fleuve, formèrent, au- dessus du dépôt de gravier perméable qui remplissait le fond du Brivet, une couche imperméable qui permit aux pressions hydrauliques de s'exercer par- dessous . 

 

Tant que les dépôts d'alluvions vaseuses , s'élevant graduellement et insensiblement, n'atteignirent pas le niveau des basses mers , il n'y eut pas de Brivet supérieur ; mais lorsque ce niveau fut atteint, un Brivet supérieur se dessina dans les couches supérieures de la vase . 

 

Un obstacle quelconque s'étant un jour trouvé sur son cours , le Brivet supérieur se détourna vers la direction où la vase plus molle lui permettait plus facilement de couler, et il s'échappa par-dessus le seuil de Méan qui ne dépassait plus le niveau de la vasière . 

 

Les vases continuant de s'accumuler dans l'anse de Penhouët, la barrière ne fit que s'accroître de ce côté . L'anse fut bientôt barrée complètement , et elle se couronna d'une petite dune , comme toutes ses voisines .
 

 

Les débris trouvés dans la vase de Penhouët sont les documents à l'aide desquels il a été possible d'assigner une date à ces divers phénomènes . 

 

Crâne dolicéphal

 

Les premières découvertes datent de la fin de l'année 1874 ; elles se composaient d'une dizaine de crânes , trouvés à 4 mètres environ en contre-bas du niveau des basses mers . 

 

Leur caractère dolichocéphale, c'est-à-dire leur forme très allongée d'avant en arrière , le grand volume de l'écaille occipitale, la forme particulière de la courbe frontale, porta M. le docteur Broca, à l'examen de qui l'un d'entre eux fut soumis, au congrès de Nantes de 1875, à lui attribuer une haute antiquité . 

 

On trouve , dans les dolmens de la Grande-Bretagne et du nord de la France, un grand
nombre de crânes présentant des caractères analogues, quoique déjà atténués.

 

Tout permettait donc à M. Broca de penser que ce crâne datait au moins de l'époque néolithique.
 

 

Le Brivet se jettant dans l'estuaire de la Loire à Méan, Saint-Nazaire (photo Ville de Saint-Nazaire)

Le Brivet se jettant dans l'estuaire de la Loire à Méan, Saint-Nazaire (photo Ville de Saint-Nazaire)

 

Voici les termes de l'appréciation de M. Broca , d'après les Mémoires de l'Association française pour l'avancement des sciences :
 

 

« Ce crâne, déclarait le savant professeur, n'est pas daté archéologiquement, car on n'a trouvé dans la même couche aucun objet d'industrie, mais il présente des caractères qui
permettent de lui assigner une haute antiquité .
(Le crâne, je le répète, avait été présenté à M. Broca en 1875 , et à cette époque , en effet, je n'avais pas encore découvert, dans la même couche, les divers objets qui se démasquèrent bientôt.)

Il est très dolichocéphale. Il l'est à un degré qui ne se retrouve plus en Bretagne, qui même ne se retrouve que très exceptionnellement dans les races actuelles de l'Europe. 

 

Par ce caractère, par le grand volume de l'écaille occipitale, par l'ensemble de sa conformation , il rentre tout à fait dans le type de la caverne de l'Homme Mort . 

 

On trouve, dans les dolmens de la Grande-Bretagne et du nord de la France, un grand nombre de crânes présentant des caractères analogues , quoique déjà atténués . 

 

Tout permet donc de penser que ce crâne date au moins de l'époque néolithique.
 

 

« C'est le crâne d'un homme parvenu à un àge avancé. Les dents de la machoire supérieure sont usées de haut en bas et de dedans en dehors. Celles de la machoire inférieure, qui n'a pas été retrouvée , sont nécessairement usées en sens inverse; cette usure est celle qui est nommée oblique externe, c'est le type d'usure dentaire que l'on observe le plus communément dans les races préhistoriques"

 


M. G. Lagneau, lisons-nous ensuite dans le compte rendu des séances du congrès de Nantes , « observe que ce crâne, sous certain rapport , en particulier par sa dolichocéphalie , paraîtrait se rapprocher de celui recueilli par M. le docteur de Closmadeuc dans le coffre de pierre du tumulus du Mane Bekernos, ou butte du crieur de nuit, dans la presqu'île de Quiberon ..."


Ainsi , pour le Congrès scientifique, ce crâne, pris isolément, devait être rattaché aux races préhistoriques, au moins à l'époque néolithique.

 

Nous verrons bientôt que cette race, dite préhistorique, vivait à Saint-Nazaire, moins de mille ans avant l'ère chrétienne.

 


Cependant les fouilles atteignirent bientôt sur une grande surface le niveau général de la couche où avaient été trouvés les crânes . 

 

 

Autres objets trouvés

 

Dès la fin de 1875 , les découvertes s'accentuèrent, puis elles se continuèrent durant les années suivantes. Tous les objets rencontrés en 1876, armes de bronze, cornes de cerf travaillées, pierres de mouillages, poteries, ossements d'animaux, bos, cheval, cerf, mouton, cochon, espadon, etc. , occupaient une seule couche de sable et de gravier absolument plane et horizontale, d'une épaisseur variant de quelques centimètres, située à un niveau correspondant, à peu près à 4 mètres en contre-bas des basses mers actuelles .


Cette couche de gravier représentait , selon toute probabilité, le fond de la baie , au moment où elle était habitée par la population de l'âge du bronze . 

 

Plus tard d'autres découvertes ont eu lieu , mais moins nombreuses , dans des couches inférieures .

Source : Domaine public ( Popular Science Monthly Volume 52)

Source : Domaine public ( Popular Science Monthly Volume 52)

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