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16 janvier 2023 1 16 /01 /janvier /2023 11:19

Cette publication 2 est une présentation de l'enfance de Thierry magot au niveau des langues .

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Avant propos de Karrikell

J'ai l'immense plaisir et honneur d'accueillir sur mon blog Thierry Magot, que je considère comme un véritable érudit des langues, et en ce qui nous concerne du gallo.

La teneur de son exposé qui sera publié ici en plusieurs publications, véritable série ou feuilleton, démonte les affirmations lapidaires de personnes n'y connaissant rien , comme classant le parler de Retz comme un parler Poitevin .

Il est vraiment dommage que le mouvement breton répète à l'envie cette affirmation erronée !

Le mouvement culturel breton se tire une balle dans le pied en faisant le jeu des partisans de la division .

Entre les tenants du "Grand Poitou" (il y en a et certains sont présents en Pays de Retz (historiens du Pays de Retz par exemple, association qui classe ce terroir "entre Bretagne et Poitou",les autres étant les militants culturels poitevins) et les partisans des Pays de la Loire, la Bretagne n'a pas besoin de chiens de Pavlov bretons répétant les choses sans rien y connaître .

Lisez Thierry Magot  !

Son exposé est salvateur et va dans le sens de la réunification non seulement politique mais culturelle .

Je publierai peu à peu , publication par publication , l'exposé de Thierry Magot.

Hervé Brétuny, Blog Karrikell

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Partie I-A

A quel titre puis-je me permettre de proposer une réponse à une telle question ?

Ou ce que j’aurais pu facilement appeler :

« Mémoires d’un vieux défenseur des langues minorisées »


 

J’ai eu l’occasion de présenter longuement mes liens avec ce qu’il est convenu d’appeler les « langues de Bretagne », Breton et Gallo, ainsi qu’avec d’autres langues minorisées du Monde au cours d’une interview en Breton (« Emgav gant Thierry Magot e Bro-Raez » / « Rencontre avec Thierry Magot dans le Pays de Retz ») dans l’hebdomadaire en Breton (et aussi en Gallo pour quelques articles) « Ya ! » (n° 523, juin 2015).

Comme tout le monde, j’ai été amené à rencontrer des personnes de toutes origines tout au long de ma vie. Parmi eux, des locuteurs de langues minorisées. J’ai toujours considéré ces rencontres comme une richesse et j’ai toujours voulu approfondir par les rencontres mes connaissances sur ces langues rejetées. Ainsi la défense des langues minoritaires fait depuis toujours partie de mes préoccupations fondamentales. Dès mon enfance, j’ai été amené à me tourner vers le Gallo (dans sa diversité), le Mainiot/Manceau et le Breton. Dans ma vie adulte, dans le contexte d’activités militantes sur le Gallo, j’ai été confronté à d’autres langues d’Oïl, comme le Poitevin, le Normand, le Picard et le Morvandiau, et certains dialectes de l’Occitan. Mes relations familiales m’ont fait ensuite rencontrer différentes langues du Monde : Yiddish, Arabe classique et dialectal, langues Berbères du Maroc, dont le Tachelhit, Mapudungun, langue amérindienne des Mapuche du Chili, langues Mandé (Bambara, Malinké) du Mali.

Ayant mené pendant de longues années un carrière d’enseignant-chercheur scientifique (Maitre de Conférences de l’Université de Paris-Sud Saclay 1970-90 et Professeur de l’Université de Nantes 1990-2010 en Physiologie de la Nutrition), j’ai été ainsi très marqué par l’approche scientifique des problèmes du vivant, loin des éternels clichés. C’est donc par ces méthodes que j’ai toujours cherché à aborder la recherche sur les langues tant en linguistique historique qu’en dialectologie ou en sociolinguistique.

Je me suis ainsi depuis longtemps intéressé aux revendications des militants de ces langues minorisées, ainsi qu’aux méthodes qu’ils avaient développées pour les faire vivre dans leur affichage et leur enseignement, en particulier les graphies unifiées que leurs militants avaient développées. Ces méthodes scientifiques ont eu une grande influence sur ma volonté de créer une écriture unifiée inter-dialectale du Gallo, qui restait ma langue de prédilection dans les luttes.


 


 

  1. Mes années d’enfance et d’adolescence (années 50 et 60) : acquisition de connaissances en Gallo dans toute sa diversité, en Bas-Mainiot et en Breton.

Je suis né peu après la Seconde Guerre Mondiale dans la communauté bretonne Gallo issue de l’émigration dans la Région parisienne, au cœur d’un petit bourg Antony encore assez rural à l’époque (à une dizaine de km du Paris intra-muros). J’ai passé mon enfance dans une maison abritant les 4 générations de ma lignée maternelle, par ailleurs à proximité immédiate de mes nombreux cousins et cousines, enfants des frères et sœurs de ma mère et de mon père, au cœur d’une petite tribu Gallo. Dans les années 50, le Gallo était encore bien vivant en Haute-Bretagne (comme le Breton en Basse-Bretagne). Les anciens parlaient encore Gallo, même dans l’émigration dans la Région parisienne et 2 personnes ont été très importantes pour mon fragile héritage Gallo : ma grand-mère maternelle Marie et son père, mon arrière-grand-père Jean-Marie, avec lesquels j’ai vécu jusqu’à la fin de leur vie.


 

Ma grand-mère Marie m’avait un peu initié de façon ludique à son « patois » (nous ignorions le terme « Gallo ») par quelques petites leçons, peu structurées mais qui commençaient toujours par une formule emphatique « Assi’ous un petit la don » qu’elle prononçait « sioumptiledon » (asseyez-vous un peu ici ; sa version du verbe s’asseoir, en « s’assire », étant la version Nord du plus répandu « se siéter », comme disait mon arrière-grand-père »). Elle parlait essentiellement le Gallo du Pays de Loudéac d’où sa mère était originaire, près de la limite avec le Breton (dialecte bien décrit par C. Bourel dans « Le Pays de Mur-Loudéac », Dastum n°4, 1976) avec, d’après elle, une coloration nette du Gallo du Haut-Goëlo, ayant vécu dans sa jeunesse à une dizaine de km au Nord de Quintin, également près de la limite avec le Breton.

Histoire d’une comptine :

Ma grand-mère Marie m’a transmis, entre autres, une comptine autour du nom des doigts qui amuse beaucoup les enfants (basée sur l’utilisation fréquente emblématique du Gallo du passé simple en « i », voir Partie III). Je me souviens qu’elle m’avait dit la tenir de sa propre grand-mère maternelle Jeanne. J’ai lu depuis sur mon arbre généalogique que ma trisaïeule Jeanne était née en 1836 à Saint Thélo. Je ne résiste pas à l’émotion de la reproduire ici :

« Eyou qu’olle a ponu, la petite alouette ? » (en caressant la paume de l’enfant)

« Olle a ponu ilë, ilë, ilë » (en chatouillant le centre de la paume de l’enfant)

« Sti-ci qui la vit » (en saisissant et tirant son pouce : le paeucet)

« Sti-ci qui l’étrapit » (en saisissant et tirant son index : le beûret)

« Stici qui la pieumit » (en saisissant et tirant son majeur : le mèt-dé)

« Sti-ci qui la manjit » (en saisissant et tirant son annulaire : le malaqhi)

« Et le pôv petit Piroui qui n’en vit ne qui n’en goûtit » (en saisissant et tirant son petit doigt)

« Liche le pyat, liche le pyat, liche le pyat » (en chatouillant la paume de l’enfant avec son propre petit doigt)


 

Au cours de 6 décennies j’ai transmis religieusement cette comptine à tous mes enfants dans leur petite enfance, puis à mes petits-enfants. L’ayant acquise de la grand-mère de ma grand-mère et l’ayant transmise à mes petits-enfants, j’ose espérer qu’ils la transmettront à leur tour à leurs petits-enfants. Soixante ans après avoir acquis cette comptine, sans l’avoir jamais retrouvée dans d’autres sources, j’ai eu la surprise de retrouver « ma » comptine dans un joli livre d’Anne Marie Pelhate « Le galo, qhi q’c’ét don ? Ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Gallo » (2011). Mais (tu m’excuseras Anne-Marie !) « ma » version est bien plus belle …


 

Mon arrière-grand-père Jean-Marie (qui aurait aujourd’hui 150 ans, et dont j’ai pris depuis 40 ans le nom dans la plupart de mes écrits sur la Bretagne) parlait le Gallo du Pays Vendelais (dialecte bien décrit dans « Le parler du Pays de Vitré » de J. Choleau, réédition Label LN, 2006). Sa commune natale était limitrophe de la Mayenne où était parlé le Bas-Manceau/Mainiot. (Voir les cartes dans la Partie II-A pour le Mainiot). Pour mon arrière-grand-père son Gallo (qu’il appelait son « Patois Breton ») était le symbole de sa bretonnité. C’est lui (et la langue qu’il parlait à la maison) qui a eu une importance décisive dans la formation de ma conscience bretonne. A cette époque, il n’y avait dans ma commune que très peu d’immigrés étrangers. J’étais ainsi un des rares enfants de mon école qui entendait chez lui une autre langue que celle enseignée à l’école, ce qui m’a fait très tôt développer en moi une forte conscience bretonne.

C’est dans ce contexte que j’ai eu ma première prise de conscience de la diversité des parlers Gallo, entre celui du Pays de Loudéac-Haut-Goëlo et celui du Vendelais (2 parlers Gallo incontestés, malgré leur grande diversité). Et cela m’a préparé à nuancer mes jugements sur le « vrai Gallo » en parlant d’un quelconque parler. Quelques exemples épars dans mes souvenirs :

  • Le mot « heude » pour « entrave » avec ses dérivés « enheuder » pour « entraver, opprimer » et son contraire « déheuder » pour « libérer », si important dans l’utilisation bretonne pour parler de l’oppression de nos langues et libertés bretonnes. Ma grand-mère prononçait très fortement le « h », c’était de « HHeuder » qu’il s’agissait, alors que Jean-Marie ne prononçait pas le « h ». Un français aurait parlé de « h aspiré » (non prononcé mais refusant les liaisons), comme dans « haut », d’ailleurs prononcé « aot » par Jean-Marie et « HHaot » par ma grand-mère. Cette différence sur la prononciation du « h » apparaissait dans la belle expression fréquemment utilisée par Marie et Jean-Marie qui me semblait emblématique pour sa prononciation, son vocabulaire et sa portée culturelle clairement rurale. C’était « Le seu d’l’u est-ti haot ! » (ou « Le sieu d’u est-ti haot ») qui signifiait en Français « Qu’est-ce que le seuil de la porte est haut ! », et qui était l’équivalent Gallo de l’autre expression plus Française, celle-là « Dieu que la terre est basse ! », quand un travail s’avérait épuisant. Cette différence de prononciation du « h » était due je pense à la proximité du Breton pour le parler de Loudéac où le « h » est prononcé en Breton (alors qu’il ne l’est plus en Français).

  • Même chose pour le durcissement des consonnes en finale absolue qui est aussi significatif de la proximité du Breton. Par exemple le nom d’un toponyme « La Maison Rouge » (sans doute une maison qui avait la curiosité d’être couverte en tuiles) habitation de membres de notre famille dans le Bas-Goëlo côtier que ma grand-mère prononçait « mèzonrouch ». Mais rien de tout ça chez mon arrière-grand-père, seulement « mèzonrouj) (voir la Partie II-A). La proximité du Breton dans le Pays de Loudéac apparaissait aussi indirectement par une sorte de dicton « A Rôternen, berzone qui ne berzone » (« et à Rostrenen on ne fait que parler Breton ! », Rostrenen étant la ville la plus proche de Basse-Bretagne) que ma grand-mère disait chaque fois qu’elle voulait commenter la multiplicité des goûts, des modes ou des avis, un peu ce qu’on dirait en Breton « Kant bro, kant giz » (« 100 pays, 100 modes ») ou en Français « Tous les goûts sont dans la nature ».

  • Des prononciations aussi beaucoup plus diphtonguées dans le Pays de Loudéac qu’en Vendelais. Par exemple les « ou » issus d’un ancien « ol » (par exemple « cou » français) prononcé en « aeü » diphtongué par ma grand-mère Marie mais retrouvés en un simple « oû » long chez Jean-Marie. Et comme certaines consonnes étaient chuintées par Marie, le résultat final pour « un cou » était « un kiaeü » dans la bouche de ma grand-mère mais « un koû » chez Jean-Marie. Même chose pour le « kiaüd’ » de Marie à comparer au « koûd’ » de Jean-Marie (pour « coudrier ou noisetier »). J’ai récemment retrouvé ces différences de prononciation dans « Le Petit Milot » de H. ar Gall, petit dictionnaire de Gallo, en Gallo standard mais présentant également les variétés du Bas-Goëlo côtier (Pordic).

Et finalement (excusez la lourdeur de mon émotion pour repousser ma sortie de ces vieux souvenirs) : Une dernière anecdote montre bien aussi cette diversité du parler de Loudéac-Goëlo (déjà composite) au parler de Vitré, diversité clairement ressentie comme des véritables différences par les protagonistes : Ma grand-mère organisait nos fêtes de famille chez elle et, en bonne bretonne, présidait les tablées à l’occasion. Elle inaugurait le repas debout, devant notre tribu bretonne de l’émigration au grand complet, adultes comme enfants, en levant son verre et en disant « Santë, TertOUs ! » (« A votre santé à tous » dans la langue du Pays de Loudéac, pays de sa mère). Ce à quoi répondait mon arrière-grand-père, en rectifiant d’un ton faussement agacé, voire indigné « …, TertOs ! », tel que le mot était prononcé dans son Vendelais natal (voir la Partie IV-A).


 

Ma grand-mère paternelle Jeanne était originaire du Bas-Goëlo maritime Gallo (nuance importante car à 15 km de chez ma grand-mère démarrait le Goëlo Brittophone), dont elle parlait la langue, bien sûr, mais après une vie dans la région parisienne elle s’était retirée pour des raisons professionnelles liées à mon grand-père (que je n’ai pas connu) dans le petit bourg de Saint Léonard des bois dans le Nord-Ouest de la Sarthe, dans la petite région des Alpes Mancelles. Elle y était rejointe l’été par sa fille et mes cousines, qui faisaient ainsi partie de notre « tribu » bretonne de la Sarthe. Mon père étant instituteur, nous passions nos vacances d’été à part égale dans les 2 lignées de ma famille, maternelle (dans le Goëlo) et paternelle (dans la Sarthe). Dans la Sarthe, étant donné la petitesse de la maison de ma grand-mère, nous logions chez des amis dans un hameau reculé du bourg, où la langue courante était le Bas-Mainiot, langue d’Oïl encore très largement utilisée à l’époque, même par les enfants pour lesquels elle était, dans les fermes, encore véritablement la langue maternelle dans les années 50. C’est mon père qui m’a permis de m’imprégner rapidement du Bas-Mainiot de ce petit coin de la Sarthe, dont il avait appris le parler quand, pendant l’Occupation, fuyant de la région parisienne le STO (Service du Travail Obligatoire en Allemagne) imposé par le gouvernement de Vichy, il avait travaillé clandestinement pendant 2 ans comme commis à la ferme.

C’est dans ce contexte que j’ai eu ma première prise de conscience de la perméabilité de nos langues d’Oïl, en l’occurrence entre le Gallo et le Bas-Mainiot. Un été, dans les années 50, mes parents avaient décidé d’emmener mon arrière-grand-père Jean-Marie (locuteur du Gallo du Vendelais dont j’ai parlé plus haut) dans ma famille paternelle dans la Sarthe. Il a pu longuement converser avec les paysans de son âge parlant le Bas-Mainiot encore très vivant à l’époque. Le contact a été catastrophique pour son moral, car il a découvert que son « Patois Breton » du Vendelais était bien plus proche du Bas-Mainiot à plus de 100 km de sa Bretagne natale (en particulier avec la terminaison commune aux 2 parlers de la 3ème personne du pluriel du Présent en « ant » (voir Partie IV-A) que du Gallo du Pays de Loudéac-Haut-Goëlo parlé par sa femme et sa fille. D’ailleurs, à l’époque cette similitude m’était évidente, mais sans conséquence sur ma bretonnité. Je me souviens d’une réflexion d’une petite copine de mon âge à laquelle j’avais fait une farce (en lui faisant croire que je lui avais mis une araignée dans les cheveux). Elle s’était précipitée auprès de sa mère en criant « Meman, Meman, j’é-ti zu pou !  Le Gâ Thierry i m’a mussë eune arangne dans mon pai » (Maman, qu’est-ce que j’ai eu peur ! Thierry m’a introduit une araignée dans les cheveux), phrase qui aurait tout à fait pu être prononcée à l’identique par un enfant en Gallo du Vendelais.

Cette perméabilité de nos langues entre dialectes du Gallo et aussi bien entre les langues d’Oïl a abouti à un véritable continuum des dialectes du Gallo les plus à l’Ouest à la limite du Breton, jusqu’à, en allant vers l’Est le Bas-Mainiot, le Haut-Mainiot, puis même le Percheron, le Beauceron … (c’est en particulier ce que nous verrons dans la Partie II-A avec une carte adaptée à ce propos).

Toute mes années d’enfance et d’adolescence (années 50-60) se sont ainsi déroulées en milieu bilingue français (prédominant, bien sûr) et langue d’Oïl minorisée, voire à l’agonie (Gallo ou Bas-Mainiot). Puis au milieu des années 60, un séjour en famille en Basse Bretagne m’a fait prendre conscience qu’il existait en Bretagne une deuxième langue spécifique, le Breton. J’ai commencé à m’y intéresser (à cette époque sans aucun support audio, ni connaissance d’aucun bretonnant) et cet intérêt m’a poursuivi toute ma vie.


 

Figure 1 Localisation des différents Pays Gallo de Haute Bretagne
Figure 1 Localisation des différents Pays Gallo de Haute Bretagne

Figure 1 Localisation des différents Pays Gallo de Haute Bretagne

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